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SEPARATION DE BIENS ET CONTRIBUTION AUX CHARGES DU MARIAGE : RETOUR SUR TERRE

Un couple marié en séparation de biens divorce. Celui qui a financé plus que sa part dans l’acquisition de biens indivis peut-il prétendre à une créance contre l’indivision ?

Après des décennies d’évolutions parfois surprenantes, la Cour de cassation revient à la réalité économique.

Le principe : les sommes financées relèvent de la contribution aux charges du mariage…

Rares sont les couples mariés en séparation de biens qui ne se portent pas acquéreurs de biens indivis dans des proportions distinctes de ce que chacun a financé. C’est d’ailleurs l’un des nombreux intérêts de ce régime matrimonial : l’époux ayant les plus gros moyens compense souvent le déséquilibre en finançant 100% d’un bien pourtant acquis 50/50, mais il conserve la liberté de ne pas le faire.

La problématique survient au moment du divorce, lorsque le financeur n’a plus de raisons de faire de cadeaux et que le conjoint veut conserver ce qu’il considère comme un « acquis matrimonial ».

La jurisprudence de la Cour de cassation a évolué au fil des années pour se stabiliser en fin de compte sur un statu quo : les sommes ainsi financées sont – dans de très nombreux cas – perdues au titre de la contribution aux charges du mariage. Celui qui finance plus que sa part sait que sa générosité sera un aller sans retour.

La jurisprudence retient en effet une conception extensive de la notion de charges du mariage. Dès lors que le bien acquis est destiné à l’usage de la famille, quand bien même il ne constitue pas le domicile conjugal, le financement par les époux est considéré comme relevant de leur contribution aux charges du mariage.

Cass.1re civ. 3 oct 2018 n°17-25.858.

Reste la question de savoir si l’un a dépassé sa contribution auxdites charges. Dans la plupart des cas, compte tenu de la rédaction des contrats de mariages qui prévoient généralement une clause aux termes de laquelle les époux sont réputés avoir contribué et renoncent à établir tout compte, les juges du fond retiennent que cette présomption est irréfragable et empêche de réclamer une créance à ce titre. Et même si la présomption est simple, il peut être considéré que la contribution n’était pas excessive.   

Cette position a choqué la doctrine. Bernard BEIGNIER écrivait, en commentaire de l’arrêt de la Cass. 1re civ. du 25 sep 2013 n°12-21.892 : « L’on sait qu’il ne faut surtout pas confondre les dispositions de l’article 214 (charges du mariage) avec celles de l’article 212 (besoins alimentaires) et celles de l’article 220 (entretien du ménage). Celles de l’article 214 sont tenues pour plus substantielles que les autres. Soit. Mais faut-il aller jusqu’à estimer que l’investissement dans l’acquisition d’un bien immobilier pour y loger la famille relève des « charges du mariage » ? La question est des plus discutables et il est permis ici de dire que la qualification envisagée par la loi est sortie de son lit. Il faut rappeler que ce texte figure dans le régime primaire qui est là pour fixer les règles de la vie ordinaire, peut-on dire banale, du couple. Acquitter un loyer est une chose : rembourser un emprunt, une autre. »

C’est la raison pour laquelle le présent arrêt ressemble à un retour sur terre.

L’exception : …sauf si elles sont financées par apport en capital

Dans une espèce presque banale, Monsieur et Madame achètent leur résidence secondaire en indivision 50/50, mais c’est Monsieur qui finance 100% du prix de revient au moyen du produit de la vente d’un bien lui appartenant à titre personnel.

Le contrat de mariage stipulait que  » les futurs époux contribueront aux charges du mariage en proportion de leurs facultés respectives conformément aux dispositions des articles 214 et 1537 du code civil. Chacun d’eux sera réputé avoir fourni au jour le jour sa part contributive, en sorte qu’aucun compte ne sera fait entre eux à ce sujet et qu’ils n’auront pas de recours l’un contre l’autre pour les dépenses de cette nature « .

Puis, le couple divorce, et Monsieur fait valoir sa créance.

Le TGI, puis la Cour d’appel, lui rappellent la jurisprudence de la Cour de cassation : aucune créance n’existe, les sommes financées par lui l’ont été au titre de sa contribution aux charges du mariage.

La Cour de cassation infirme, en précisant sa position :

« …sauf convention matrimoniale contraire, l’apport en capital provenant de la vente de biens personnels, effectué par un époux séparé de biens pour financer la part de son conjoint lors de l’acquisition d’un bien indivis affecté à l’usage familial, ne participe pas de l’exécution de son obligation de contribuer aux charges du mariage »

Cass. 1re civ. 3 octobre 2019 n°18-20.828 Publié.

Cette précision apportée par la Cour suprême est conforme aux réalités économiques et aux principes de droit commun de l’indivision (art 815-13 C. civ. notamment), et en même temps, elle laisse place à la liberté contractuelle.

Pour entrer dans le champ d’application de la contribution aux charges du mariage, il est nécessaire que les flux financiers aient la nature d’une charge récurrente et régulière telle que le remboursement d’emprunt.

Malgré cette position, il reste que la rédaction des clauses du contrat de mariage mériterait d’être personnalisée en fonction du souhait, éclairé, des clients.

Par ailleurs, le conjoint qui n’obtiendra pas gain de cause sera-t-il à court d’arguments ?

Non, il lui sera toujours possible d’invoquer ce qu’il était d’usage d’invoquer à l’époque où la jurisprudence ne parlait pas encore de contribution aux charges du mariage : l’existence d’une libéralité qui désormais n’est plus révocable du fait du divorce art 1096 C. civ.

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