Doit-on tenir compte de la globalité des opérations ou apprécier chacune des opérations distinctement ? Le Conseil d’Etat répond.
La décision
En avril 2009, la SELARL Pharmacie Centrale signe un compromis de vente de son fonds de commerce sous conditions suspensives.
En septembre 2009, Monsieur G apporte à deux sociétés holdings qu’il contrôle, ses titres de la SELARL, sous condition suspensive de réalisation de la vente de la pharmacie.
Il place ses plus-values latentes sous le régime du sursis d’imposition.
Quelques jours plus tard, la société Pharmacie Centrale procède au rachat de ses propres titres auprès des deux holdings.
La première utilise les capitaux perçus – environ 800.000 € – pour acquérir un fonds de commerce de pharmacie pour un montant de 2.740.000 €.
La deuxième achète au moyen des fonds perçus – environ 1.120.000 € – une maison d’habitation affectée aux besoins de Monsieur G, des immeubles de rapport, et un véhicule de tourisme donné en location à la compagne de Monsieur G.
C’est au titre de cette deuxième opération que l’administration réagit en invoquant l’abus de droit comme fondement au refus du sursis d’imposition de la plus-value.
Le contribuable conteste, invoquant la globalité de l’opération, le réinvestissement à caractère économique représentant une part significative du produit global des deux cessions.
Le Conseil d’Etat, 9ème et 10ème chambres réunies, dans une décision n°437996 du 5 novembre 2021, confirme l’application de l’article L 64 du LPF (procédure de l’abus de droit) en retenant notamment que lorsque les titres d’une société sont apportés par un contribuable à plusieurs entreprises qu’il contrôle, le but de chaque opération d’apport doit être apprécié distinctement.
Ce qu’il faut en retenir
Remettons les choses dans leur contexte : les faits datent de l’époque du sursis.
Rappelons l’évolution :
- Avant le 1er janvier 2000 : ancien report de l’article 92 B II du CGI ;
- Du 1er janvier 2000 au 14 novembre 2012 : sursis de l’article 150-0 B du CGI ;
- Depuis le 1er janvier 2012 : report de l’article 150-0 B ter du CGI si la société est contrôlée par l’apporteur, sursis à défaut.
Pour rappel, dans le cadre d’un sursis, la jurisprudence a admis la non remise en cause du sursis dans l’hypothèse d’un apport suivi d’une cession dès lors que le produit de cession fait l’objet d’un réinvestissement à caractère économique, à bref délai. En revanche, en l’absence de réinvestissement à caractère économique, une telle opération doit, en principe, être regardée comme poursuivant un but exclusivement fiscal.
Le Conseil d’Etat se prononce pour la première fois sur l’hypothèse d’un apport à deux sociétés distinctes, retenant que le but de chaque opération d’apport doit être apprécié distinctement.
Le contribuable soutenait qu’il s’agissait d’une opération globale, l’apport ayant été fait à deux sociétés au lieu d’une, en raison de la réglementation de la profession de pharmacien qui n’aurait pas permis, en cas d’apport à une société unique, de réinvestir une partie minime dans des opérations patrimoniales.
Mais, comme le souligne Mme BOKDAM-TOGNETTI, rapporteure publique, le contribuable aurait parfaitement pu apporter partie des titres à une société et conserver le surplus pour percevoir directement les liquidités qu’il entendait réinvestir dans des opérations patrimoniales.
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