L’administration fiscale taxe le cédant au titre des rémunérations perçues jusqu’à la cession de ses parts, mais taxe également le cessionnaire en lui interdisant de déduire lesdites rémunérations pour la détermination du bénéfice. A-t-elle raison ? Le Conseil d’Etat tranche.
La décision
A l’issue d’un contrôle, l’administration fiscale réintègre au bénéfice d’une société de personnes exerçant une activité non commerciale et relevant de l’impôt sur le revenu, une somme correspondant à la rémunération de l’associé ayant cédé ses parts en cours d’exercice.
Les nouveaux associés de la société font grief à l’arrêt – CAA Nantes 16 novembre 2021 – de rejeter leur demande de décharge du supplément d’impôt sur le revenu en résultant pour eux.
Le Conseil d’État – CE 9ème – 10ème chambres réunies, 30/06/2023, 460432 – les déboute :
« … les bénéfices réalisés par une société de personnes qui n’a pas opté pour le régime fiscal des sociétés de capitaux sont soumis à l’impôt sur le revenu entre les mains des associés présents dans la société à la date de clôture de l’exercice.
4. Ces bénéfices sont réputés comprendre la rémunération que les intéressés perçoivent le cas échéant en raison de l’activité qu’ils déploient dans l’entreprise. Par suite, cette rémunération ne constitue pas une charge déductible des résultats de la société de personnes et doit être regardée comme une modalité particulière de répartition des bénéfices sociaux, convenue entre les associés et complétant sur ce point les stipulations du pacte social.
5. La rémunération versée à l’associé d’une société de personnes, qui a cédé ses parts avant la date de clôture de l’exercice, à raison de l’activité qu’il a déployée dans l’entreprise avant son départ, ne constitue pas une charge déductible des résultats de la société mais un élément du prix de cession de ces parts, prélevé par le cessionnaire sur la quote-part des bénéfices sociaux qui lui revient à la clôture de l’exercice.
6. En premier lieu, il résulte de ce qui a été dit au point 5 qu’en jugeant que l’administration fiscale avait pu réintégrer aux bénéfices de l’EARL D… à la clôture de l’exercice 2011, le 30 juin 2011, la somme de 7 800 euros versée à M. E… A… B…, en rémunération de son activité au sein de la société entre le 1er juillet 2010 et le 31 décembre 2010, date à laquelle il a cédé ses parts sans exercer l’option prévue par l’article 73 D du code général des impôts lui permettant de percevoir sa quote-part des bénéfices réalisés depuis la clôture du dernier exercice jusqu’à cette date, la cour administrative d’appel de Nantes n’a pas commis d’erreur de droit ni inexactement qualifié les faits de l’espèce.
7. En second lieu, en jugeant, d’une part, que la circonstance que la somme en litige ait été déclarée par M. E… A… B… au titre de l’impôt sur le revenu ne faisait pas obstacle à ce que les contribuables soient imposés à raison de la réintégration de cette somme dans les résultats de l’EARL, et d’autre part, que ceux-ci n’étaient pas fondés à soutenir qu’ils avaient subi une double imposition au motif qu’ils n’avaient pas été imposés plusieurs fois pour le même revenu, la cour n’a pas commis d’erreur de droit.
… »
Pour consulter la décision :
Décryptage
Cette décision nous donne l’occasion de rappeler quelques règles :
Les associés d’une société de personnes relevant de l’impôt sur le revenu sont taxés à hauteur de leurs droits sur les bénéfices – art. 8 du CGI.Une rémunération versée à un associé est présumée représenter une quote-part de ses droits au bénéfice. Elle n’est donc pas déductible pour la détermination dudit bénéfice – art. 60 du CGI.A la clôture de l’exercice, les associés présents sont présumés avoir perçu la quote-part de bénéfice leur revenant, peu importe la date de perception.
Le Conseil d’Etat avait déjà précisé que la convention passée entre associés pour déroger à la répartition statutaire du résultat ne s’applique pas lorsqu’un associé perd cette qualité en cours d’exercice, la portée d’une telle convention ne pouvant affecter la règle en vertu de laquelle sont seuls redevables de l’impôt dû sur les résultats de l’exercice les associés présents dans la société à la clôture de l’exercice (CE, 28 mars 2012, 320570, Publié au recueil Lebon).
Si la clause de répartition du résultat entre cédant et cessionnaire figurant dans l’acte de cession est valable entre les parties, elle n’est pas opposable à l’administration.
Pour éviter l’imposition des associés présents en fin d’exercice sur le résultat déjà perçu par l’associé sortant, il faut établir un résultat intermédiaire à la date de la cession pour que l’associé sortant soit imposé (article 93 B du CGI pour les bénéficies agricoles et 73 D pour les BNC).
La question tranchée ici est celle de la déductibilité, pour la détermination des bénéfices sociaux, de la somme versée à l’associé sorti en cours d’exercice, si cette somme perçue correspond à la rémunération d’un travail effectivement fourni.
Le Conseil d’Etat précise que la rémunération des associés est comprise dans les bénéfices et ne constitue pas une charge déductible y compris lorsque l’associé qui l’a perçue est sorti en cours d’exercice. Cette somme constitue alors un élément du prix de cession.
En pratique, à défaut d’établissement d’une situation intermédiaire, la somme déjà perçue par l’associé sortant :
- N’est pas déductible du résultat de la société et sera donc imposée comme bénéfice entre les mains du cessionnaire ; mais ce dernier pourra en tenir compte en cas de cession des titres pour la valorisation de son prix d’acquisition ;
- Est imposable à l’égard du cédant au titre de la plus-value en tant qu’élément du prix de cession.