La cession de titres démembrés n’est pas précédée d’une convention de quasi-usufruit. Les conditions de la donation préalable peuvent-elles suffire à établir le quasi-usufruit sur le produit de la cession et produire ainsi ses effets fiscaux quant aux modalités de taxation de la plus-value ?
La décision
M et Mme G ont transmis à leurs enfants, aux termes de plusieurs donations, la nue-propriété de titres de plusieurs sociétés.
Quelques années plus tard, ils cèdent tous ensemble la pleine propriété desdits titres, puis, postérieurement à la cession, régularisent une convention de quasi-usufruit.
Les usufruitiers et les nus-propriétaires calculent et liquident l’impôt de plus-value, chacun indépendamment.
L’administration conteste et impose les usufruitiers sur l’ensemble de la plus-value, constatant qu’ils sont titulaires d’un quasi-usufruit sur le produit des cessions.
La Cour administrative d’appel de PARIS, 2ème chambre, par une décision 18PA02647 du 6 novembre 2019, donne raison aux contribuables au motif que la convention de quasi-usufruit était postérieure à la cession.
https://www.legifrance.gouv.fr/ceta/id/CETATEXT000039335562/
Le Conseil d’Etat, 8ème chambre, par une décision 437329 du 17 novembre 2021, casse l’arrêt d’appel au motif qu’en vertu d’une « condition particulière » insérée dans chacun des actes de donation-partage de la nue-propriété de ces parts sociales, en cas de cession des titres, à défaut de remploi du prix pour une nouvelle acquisition de titres, les donataires étaient tenus de placer le produit de la cession sur un compte bancaire indivis sur lequel les donateurs disposeraient d’un mandat de gestion exclusif et, d’autre part, qu’il était constant que les parties n’avaient pas exercé l’option d’un remploi des fonds ouverte par ces actes, de sorte que M. et Mme L… devaient être regardés comme ayant bénéficié du report de leurs droits d’usufruitiers sur le prix de cession.
Ce qu’il faut retenir
Il résulte de l’article 621 du Code civil :
« En cas de vente simultanée de l’usufruit et de la nue-propriété d’un bien, le prix se répartit entre l’usufruit et la nue-propriété selon la valeur respective de chacun de ces droits, sauf accord des parties pour reporter l’usufruit sur le prix.
… » .
Depuis une instruction de 2001, la taxation de la plus-value réalisée à l’occasion de la cession de titres démembrés suite à une donation de la nue-propriété, dépend de la date de naissance du démembrement et du sort du prix de vente.
Lorsque le démembrement est né à compter du 3 juillet 2001, on peut synthétiser la situation comme suit :
- Soit le prix de cession est réparti : chacun de l’usufruitier et du nu-propriétaire est redevable de l’impôt relatif à sa propre plus-value.
- Soit le nu-propriétaire et l’usufruitier conviennent (ou ont convenu lors d’une convention antérieure) ensemble du sort du prix de vente, qui peut être : soit remployé dans l’acquisition d’autres valeurs, droits ou titres eux-mêmes démembrés, auquel cas la plus-value est imposable au nom du nu-propriétaire, soit attribué en totalité à l’usufruitier dans le cadre d’un quasi-usufruit, auquel cas, la plus-value est imposable au nom de l’usufruitier.
NB : sauf cas particulier d’un portefeuille de valeurs mobilières dont le démembrement résulte d’une succession
Jusqu’ici, la jurisprudence du Conseil d’Etat, reprise par la doctrine de l’administration (BOI-RPPM-PVBMI-20-10-20-60 n° 100), était la suivante :
«… la cession à titre onéreux porte sur la pleine propriété des titres : le nu-propriétaire et l’usufruitier cèdent les titres démembrés et conviennent (ou ont convenu lors d’une convention antérieure) ensemble du sort du prix de vente, qui peut être soit remployé dans l’acquisition d’autres valeurs, droits ou titres eux-mêmes démembrés, soit attribué en totalité à l’usufruitier dans le cadre d’un quasi-usufruit. Dans cette situation, outre le cas particulier dans lequel l’objet du démembrement est un portefeuille de valeurs mobilières, la plus-value est imposable, soit au nom du nu-propriétaire en cas de remploi, soit au nom de l’usufruitier en cas de quasi-usufruit, et le premier terme de la plus-value de cession est toujours constitué par le prix de cession de la pleine propriété des titres cédés. »
En résumé, s’il n’a pas été conclu de convention de quasi-usufruit avant la cession, celle-ci n’est pas possible postérieurement à la cession. Elle ne produit donc pas ses effets non plus en termes de taxation de la plus-value.
https://www.resodinfo.fr/donation-cession-comment-traverser-le-champ-de-mines/
A l’occasion du commentaire d’une décision du Conseil d’Etat (CE 9ème et 10ème chambres réunies n°429187 du 2 avril 2021), nous avions synthétisé :
Ce n’est pas l’utilisation réelle du prix de cession du bien démembré qui importe pour la qualification du redevable de l’impôt de plus-value (sous réserve de l’abus de droit) mais la convention préalable des parties.
En pratique, il nous semble qu’il est possible de laisser, dans la donation-partage, le choix à l’usufruitier de décider du sort du prix en cas de cession, dès lors que les clauses sont clairement rédigées et que le choix de l’usufruitier est matérialisé avant la cession dans une convention précise signée par l’usufruitier et le nu-propriétaire.
Par cette nouvelle décision du 17 novembre 2021, le Conseil d’Etat précise encore sa jurisprudence : le quasi-usufruit peut résulter de la simple application des conditions de la donation antérieure.
Notre avis : ne tentons pas le diable, une convention claire et précise quant au sort du prix après la donation mais avant la cession reste le meilleur moyen d’éviter toute discussion.
Attention aux clauses de style : la clause qui justifie de l’application d’un quasi-usufruit était très certainement dans l’esprit du rédacteur une clause de remploi en démembrement : ouverture d’un compte démembré (et non indivis comme le stipule la clause) pour le placement du prix de cession démembré, avec mandat de gestion exclusif confié aux usufruitiers. Certes, un mandat est révocable. Mais selon le rapporteur public : « le mandat de gestion exclusif sur les fonds donné à M. ou Mme Q. doit être assimilé à un quasi-usufruit (cf. CE 2-4-2021 no 429187, déjà mentionnée et les conclusions de Céline Guibé, qui relevaient qu’une telle maîtrise sur le produit de la cession excédait largement les pouvoirs limités reconnus par la jurisprudence civile à l’usufruitier d’un portefeuille de valeurs mobilières et devait être regardée comme un quasi-usufruit). Si les défendeurs font valoir qu’un quasi-usufruit fait toujours naître une créance de restitution, ce qui n’est pas contestable, la circonstance que cela n’ait pas été expressément prévu dans les actes ici en cause ne nous paraît pas faire obstacle à ce que vous reteniez la qualification de quasi-usufruit. ».
Le quasi-usufruit peut à bien des égards être déroutant. Nous aurons l’occasion d’y revenir très prochainement.