DONATION-CESSION : QUASI-USUFRUIT OU REMPLOI EN DEMEMBREMENT ? IL FAUT ETRE PRECIS

Une donation de la nue-propriété de titres stipule qu’en cas de vente, l’usufruit se reporterait sur le prix de cession. Finalement, le prix est remployé en démembrement. Qui est redevable de l’impôt de plus-value ? Le Conseil d’Etat tranche.

La décision

En 2007, M et Mme A consentent une donation-partage au profit de leurs enfants aux termes de laquelle il leur est attribuée la nue-propriété d’actions de la société VIVERIS.

L’acte stipule une interdiction d’aliéner et de nantir les titres transmis jusqu’au décès des donateurs, sauf autorisation de ces-derniers.

Dans une telle hypothèse, il est prévu que « l’usufruit réservé se reportera en vertu des règles de la subrogation réelle conventionnelle sur le prix de cession. En conséquence, en cas d’aliénation du ou des biens compris aux présentes, ou de tous biens qui pourraient leur être subrogés par la suite, les nus propriétaires s’interdisent, sauf accord exprès du ou des usufruitiers, à demander le partage en toute propriété du prix représentatif de ceux-ci. Le donataire devra, au contraire, remployer le produit de ces aliénations dans tous les biens dont l’acquisition pourrait être décidée par les seuls usufruitiers, afin de permettre le report des droits de ces derniers sur le ou les biens nouvellement acquis. Pour l’application de la présente clause, il faudra entendre par subrogation le remplacement dans le patrimoine du donataire de la nue-propriété des biens par tous biens qui s’y substitueraient par voie de vente suivi d’un remploi ou d’un échange. 

… en cas de cession avec l’accord de l’usufruitier de tout ou partie des titres présentement donnés et sans que ce prix de cession soit employé à acquérir de nouveaux titres, les donataires auront l’obligation de verser les fonds provenant desdites cessions sur un compte indivis « Nue-propriété au nom des donataires / Usufruit au nom des donateurs » à ouvrir dans toute banque au gré de l’usufruitier desdits titres.

… Les donataires acceptent cette condition et s’obligent à la remplir expressément, donnant, dès à présent, au donateur mandat de gestion exclusif des fonds ainsi placés. »

En 2008, un pacte adjoint imposait aux donataires d’apporter à une société civile immobilière à constituer avec les donateurs une  » fraction  » des titres reçus.

En 2009, la pleine propriété des titres est annulée par voie de réduction de capital.

L’impôt de plus-value est pris en charge par le nu-propriétaire.

L’administration rectifie : l’impôt de plus-value était intégralement à la charge de l’usufruitier.

Le Conseil d’Etat, jugeant l’affaire au fond, considère :

  • qu’il ressort de l’acte de donation-partage que le droit d’usufruit était, en cas de cession, reporté sur le prix issu de celle-ci,
  • que le remploi/report du démembrement n’était qu’une simple faculté dont l’usufruitier pouvait seul décider,
  • que le pacte adjoint ne peut être regardé comme organisant une clause de remploi à due concurrence de cette fraction, dès lors qu’aucune stipulation n’en définissait le quantum.

CE 9ème et 10ème chambres réunies n°429187 du 2 avril 2021 – lien in fine.

Décryptage

Il résulte de l’article 621 du Code civil :

« En cas de vente simultanée de l’usufruit et de la nue-propriété d’un bien, le prix se répartit entre l’usufruit et la nue-propriété selon la valeur respective de chacun de ces droits, sauf accord des parties pour reporter l’usufruit sur le prix.

…  » .

Depuis une instruction de 2001, la taxation de la plus-value réalisée à l’occasion de la cession de titres démembrés suite à une donation de la nue-propriété, dépend de la date de naissance du démembrement et du sort du prix de vente.

Lorsque le démembrement est né à compter du 3 juillet 2001, on peut synthétiser la situation comme suit :

  • Soit le prix de cession est réparti : chacun de l’usufruitier et du nu-propriétaire est redevable de l’impôt relatif à sa propre plus-value.
  • Soit le nu-propriétaire et l’usufruitier conviennent (ou ont convenu lors d’une convention antérieure) ensemble du sort du prix de vente, qui peut être : soit remployé dans l’acquisition d’autres valeurs, droits ou titres eux-mêmes démembrés, auquel cas la plus-value est imposable au nom du nu-propriétaire, soit attribué en totalité à l’usufruitier dans le cadre d’un quasi-usufruit, auquel cas, la plus-value est imposable au nom de l’usufruitier.

NB : sauf cas particulier d’un portefeuille de valeurs mobilières dont le démembrement résulte d’une succession

Une première lecture rapide pourrait laisser penser que le choix entre répartition du prix/report du démembrement/quasi-usufruit doit être opéré dès la donation-partage.

Si une telle option est envisageable dans l’hypothèse d’une donation avant cession, elle l’est nettement moins lorsqu’au moment de la donation il n’y a pas de perspective de cession.

Il nous semble que cet arrêt remet seulement en cause la rédaction de l’acte et surtout l’absence de convention précise entre usufruitier et nu-propriétaire.

Les conclusions du rapporteur public sont éclairantes :

« Si les parties avaient effectivement convenu, à la date de la cession, que le prix serait remployé à l’acquisition d’un nouveau bien sur lequel se reporterait le démembrement, la plus-value aurait alors dû être imposée entre les mains du nu-propriétaire, »

« Quant au « pacte adjoint » (…) Si l’étendue de l’obligation de remploi partiel avait été précisément définie au jour de la cession, la fraction de la plus-value correspondante, à hauteur de la part réinvestie, aurait en revanche dû être imposée, selon nous, entre les mains du nu propriétaire. Où l’on voit l’importance qu’il convient d’attacher à la précision de la rédaction des clauses de donation-partage… »

Ce n’est pas l’utilisation réelle du prix de cession du bien démembré qui importe pour la qualification du redevable de l’impôt de plus-value (sous réserve de l’abus de droit) mais la convention préalable des parties.

En pratique, il nous semble qu’il est possible de laisser, dans la donation-partage, le choix à l’usufruitier de décider du sort du prix en cas de cession, dès lors que les clauses sont clairement rédigées et que le choix de l’usufruitier est matérialisé avant la cession dans une convention précise signée par l’usufruitier et le nu-propriétaire.

https://www.legifrance.gouv.fr/ceta/id/CETATEXT000043328492?juridiction=CONSEIL_ETAT&juridiction=COURS_APPEL&juridiction=TRIBUNAL_ADMINISTATIF&juridiction=TRIBUNAL_CONFLIT&page=1&pageSize=10&query=429187&searchField=ALL&searchType=ALL&sortValue=DATE_DESC&tab_selection=cetat

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