Une donation-partage de biens indivis peut être « sauvée » en cas de partage ultérieur réalisé par le donateur. La Cour de cassation précise les conditions de l’intervention du donateur.
La décision
En 1995, M. P consent une « donation-partage » à ses trois enfants avec attribution :
- à sa fille : la pleine propriété de biens mobiliers divis,
- et à chacun de ses fils : la moitié indivise en nue-propriété d’un bien immobilier.
En 2008, l’un des fils cède sa quote-part indivise du bien immobilier à son frère. Le père intervient à l’acte en sa qualité de donateur.
En 2013, M. P décède laissant pour recueillir sa succession : son conjoint survivant et ses trois enfants.
Une action en partage judiciaire est engagée et l’un des héritiers demande notamment que la donation-partage de 1995 soit requalifiée en donation simple et rapportée à la succession.
La Cour d’appel – CA PARIS, 26 mai 2021, n° 18/16950 – lui donne raison.
Un pourvoi en cassation est formé au motif que la donation et le partage peuvent être faits par actes séparés pourvu que le disposant intervienne aux deux actes, que le donateur était intervenu à l’acte de licitation de 2008 contenant partage et que la loi n’impose pas que le partage soit réalisé sous la médiation du donateur.
La Cour de cassation – Cass. civ.1, 12 juillet 2023, 21-20.361 21-23.425, Publié au bulletin – ne suit pas ce raisonnement :
« 12. La cour d’appel a retenu, par motifs adoptés, que l’acte du 7 novembre 1995, qui n’attribuait que des droits indivis à MM. [Y] et [I] [P], ne pouvait, à lui seul, opérer un partage.
13. Elle a estimé que, si [K] [P], en sa qualité de donateur, avait donné son consentement à la vente intervenue entre ses fils, en renonçant à l’action révocatoire ainsi qu’à l’exercice du droit de retour, il n’apparaissait pas, pour autant, qu’il ait été à l’initiative de l’acte du 17 janvier 2008 ni que le partage ait été réalisé sous sa médiation.
14. Elle en a déduit que l’acte n’avait pas résulté de la volonté du donateur de procéder au partage matériel de la donation, mais de celle des copartagés.
15. Ayant ainsi fait ressortir que la répartition des biens n’avait pas été effectuée par le disposant lui-même ou, tout au moins, sous sa direction, la cour d’appel a retenu à bon droit que l’acte du 7 novembre 1995 était une donation rapportable à la succession du donateur. »
Pour consulter la décision :
Décryptage
La pratique des donations-partages indivises reste répandue, malgré les arrêts de 2013.
Pour rappel, par deux arrêts de 2013 – Cass., civ.1, 6 mars 2013, n° 11-21.892 et 20 novembre 2013, n° 12-25.681, Publiés au bulletin, la Cour de cassation a sanctionné cette pratique : en cas d’attribution de biens indivis, l’acte de donation-partage, s’analyse en une donation simple.
En 2019, elle a précisé que la donation-partage peut être faite en deux temps, si le partage ultérieur est fait par l’ascendant de son vivant et selon sa volonté – Cass. civ.1, 13 février 2019, n° 18-11.642, Publié au bulletin.
La question ici posée était celle de la nature de l’intervention du donateur à l’acte réalisant le partage ultérieur.
En l’espèce, le donateur était intervenu à l’acte de licitation mettant fin à l’indivision entre les deux frères (constituant un partage), pour « donner son consentement à la présente vente à titre de licitation, et ce, conformément au terme de l’acte de donation-partage ci-après visé », et « renoncer purement et simplement en ce qui concerne la quote-part indivise en nue-propriété des biens et droits immobiliers vendue aux termes des présentes à l’action révocatoire, (…) et à l’exercice du droit de retour ».
Une telle intervention pouvait-elle être assimilée à un partage réalisé par le donateur ?
Non estime la Cour de cassation au visa des articles 1075 et 1076, alinéa 2 du Code civil :
« Il résulte de ces textes que la donation-partage, même faite par actes séparés, suppose nécessairement une répartition de biens effectuée par le disposant lui-même ou, tout au moins, sous sa direction et avec son concours. »
En pratique, l’acte de partage ultérieur doit être rédigé de telle manière qu’il apparaisse que le donateur en est l’instigateur et que les co-partageants ne font qu’accepter les lots constitués par le donateur.
Les conséquences de la requalification d’une donation-partage en donation simple sont en effet nombreuses. Principalement, la donation devient rapportable et la réunion fictive s’effectue dans les conditions de droit commun donc sans « gel » de la valeur.