DROITS DE SUCCESSION : LES PASSIFS DEDUCTIBLES PEUVENT-ILS ETRE REPARTIS ENTRE USUFRUITIER ET NU-PROPRIETAIRE ?

Imputer l’intégralité du passif successoral sur la part du nu-propriétaire. C’est la position étonnante, mais brillante de lucidité que vient de faire prendre un notaire à son client. La Cour d’appel de DIJON se prononce sur ce qui pourrait être une nouvelle polémique.

La décision

Monsieur X décède en 2014, laissant pour lui succéder, son épouse commune en biens meubles et acquêts et usufruitière de la succession, et son fils unique héritier pour la totalité en nue-propriété.

La déclaration de succession impute sur la part du nu-propriétaire la totalité du passif de la succession.

L’administration conteste au motif que le passif de la succession aurait dû être réparti entre les deux héritiers universels.

Le fils assigne au motif que le passif est imputable sur sa part en qualité de nu-propriétaire en vertu de l’article 612 du Code civil, l’usufruitier n’étant tenu qu’aux intérêts.

Le TJ – DIJON 18 mai 2021 RG : 18/03238 – lui donne raison.

La Cour d’appel – CA DIJON 5 septembre 2023 RG n°21/00745 – lui donne également raison :

« … Au terme de l’article 870 du code civil, les cohéritiers contribuent entre eux au paiement des dettes et charges de la succession, chacun dans la proportion de ce qu’il y prend.

Selon l’article 873 du code civil, les héritiers sont tenus des dettes et charges de la succession, personnellement pour leur part successorale et hypothécairement pour le tout.

Il en résulte que chaque héritier ne doit contribuer au passif que dans la proportion de la part d’actif qu’il recueille.

C’est à juste titre que les premiers juges en ont déduit que l’assiette de la taxation doit tenir compte de la seule part nette qui sera perçue par chacun des ayants droits c’est à dire après déduction de la charge du passif qui sera effectivement supportée par chacun des bénéficiaires.

Ils ont, par une motivation pertinente, que la cour adopte, considéré que lorsque la vocation successorale de chacun des héritiers est, comme en l’espèce, différente, la contribution de chaque héritier doit tenir compte à la fois de l’étendue et de la nature de ses droits.

Or, la contribution aux dettes de l’usufruitier est prévue par les articles 605 et suivants du code civil, à savoir les réparations d’entretien, les charges annuelles du bien et les intérêts qui pèsent sur le bien.



Si les dispositions de l’article 612 du code civil s’appliquent non seulement aux dettes laissées par le défunt, mais encore aux charges de la succession (tels les frais de scellés et d’inventaire, les frais de demande en délivrance des legs, le paiement des legs particuliers), le droit de mutation par décès dû à raison de la transmission de la nue-propriété n’en relève pas comme n’étant pas une dette du défunt, ni une charge à laquelle l’usufruitier doit contribuer.

En revanche, il se déduit des dispositions de l’article 612 du code civil que l’usufruitier n’est pas tenu au passif successoral mais seulement aux intérêts de ce passif, qui dès lors qu’il incombe globalement au nu propriétaire, doit être déduit de sa part pour déterminer l’assiette des droits de mutation dont il doit s’acquitter.

Si la pratique de l’administration fiscale (BOI ENR-DMTG-10-50-10 du 11 avril 2016), au terme de laquelle la part nette revenant aux ayants droit tenus au paiement proportionnellement à leur émolument est déterminée en diminuant le montant total des dettes de l’actif successoral, trouve à s’appliquer en présence d’héritiers ayant des droits de même nature, il en va différemment lorsque les droits sont démembrés comme en l’espèce.

En conséquence, c’est de manière parfaitement justifiée que les premiers juges ont considéré que les dettes successorales devaient être déduites de la seule part du nu-propriétaire de sorte que la rectification opérée était infondée. »

Pour consulter la décision :https://www.courdecassation.fr/decision/64f816560a9accd9695a4275?search_api_fulltext=777+CGI&op=Rechercher+sur+judilibre&expression_exacte=1&date_du=2023-07-01&date_au=2023-09-12&judilibre_juridiction=all&page=1&previousdecisionpage=1&previousdecisionindex=0&nextdecisionpage=1&nextdecisionindex=2

Décryptage

La doctrine administrative pose les principes suivants – BOI-ENR-DMTG-10-50-10 :

« Le tarif des droits de mutation à titre gratuit s’applique à la part nette globale recueillie par chaque ayant droit (code général des impôts (CGI), art. 777).

La part nette s’entend après déduction du passif légalement justifié. La liquidation est globale en ce sens que le tarif s’applique à l’ensemble des biens recueillis par chaque ayant droit à quelque titre que ce soit, héritier, légataire ou donataire. 

En l’absence de partage pur et simple, la part nette de chaque redevable est déterminée en déduisant de sa part brute dans l’actif successoral, fixée d’après les règles de la dévolution légale et, le cas échéant, des dispositions testamentaires (BOI-ENR-DMTG-10-10-10-10), la part du passif qui lui incombe ainsi que les donations en avancement d’hoirie qu’il a pu recevoir. »

Ces commentaires légitiment la position du contribuable selon laquelle seul le nu-propriétaire peut déduire le capital d’un passif de succession.

En effet, comme le souligne la Cour d’appel : « il se déduit des dispositions de l’article 612 du code civil que l’usufruitier n’est pas tenu au passif successoral mais seulement aux intérêts de ce passif ».

Mais alors pourquoi l’administration n’en tient-elle pas compte ?

Pour des raisons de simplification – BOI-ENR-DMTG-10-50-10 § 220, la doctrine fixe une règle pratique de déduction des dettes de l’actif brut :

« B. Règle pratique afin d’éviter la répartition du passif

220

En vue de déterminer la part nette revenant aux ayants droit tenus au paiement proportionnellement à leur émolument (héritiers, légataires universels ou à titre universel), le montant total des dettes est déduit de l’actif brut successoral. Les parts nettes sont alors calculées sur le résultat ainsi obtenu.

Cette manière de procéder évite d’effectuer la répartition du passif. »

Cette règle se conçoit en présence de droits de même nature (dans ce cas, la contribution aux dettes est proportionnelle à la part prise dans l’actif brut, exception faite du légataire particulier), mais pas en présence d’un démembrement.

Cette règle est défavorable au nu-propriétaire.

Le pendant de cette question est la prise en compte du règlement de la dette par l’usufruitier. Dans l’hypothèse où l’usufruitier est le parent des héritiers nus-propriétaires, il est courant que le passif de succession soit réglé par l’usufruitier. Le capital de la dette ne lui incombant pas, lors de son décès, devrait figurer à l’actif de sa succession le montant de la dette qu’il a réglé en lieu et place des nus-propriétaires.

Il est probable que cette affaire fera couler beaucoup d’encre.

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