DUTREIL : LA CONSERVATION DE FACTO DES TITRES PEUT-ELLE REMPLACER LES ENGAGEMENTS FORMELS ?

Des donataires invoquent le bénéfice de l’exonération partielle « Dutreil ». Les engagements collectifs et individuels ne sont pas formalisés correctement. La conservation matérielle des titres peut-elle remplacer le formalisme ? Une Cour d’appel se prononce.

La décision

Par acte du 27 juin 2011, rectifié par acte du 8 juillet 2011, passé devant Maître C, notaire, M. et Mme I procèdent à une donation-partage au profit de leurs cinq enfants, portant notamment sur des titres d’une SNC.

Dans l’acte de donation-partage, il est expressément mentionné que les parties déclarent vouloir soumettre les présentes aux règles de l’article 787 B du code général des impôts concernant le dispositif Dutreil mais les engagements individuels n’y figurent pas.

Suivant acte également dressé par Maître C, notaire, le 27 juin 2011, trois des donataires signent un engagement de conservation en matière de transmission des titres de la SNC souscrit pour l’application de l’article 787 B du code général des impôts.

En octobre 2014, l’administration fiscale adresse une proposition de rectification à chacun des donateurs et donataires remettant en cause :

– la valorisation des titres transmis,

– le bénéfice de l’exonération partielle de l’article 787 B du CGI : l’engagement collectif n’est pas valable et l’acte de donation-partage ne contient pas les engagements individuels de conservation.

Le montant du redressement est fixé après saisie de la commission de conciliation.

Estimant que leur préjudice est imputable aux fautes commises par le notaire, Maître C, les redevables assigne ce dernier devant le tribunal de grande instance de Privas.

Par jugement du 11 janvier 2018, le tribunal de grande instance de Privas condamne le notaire, estimant qu’il avait manqué à son devoir de conseil et d’information en ne permettant pas aux consorts I de pouvoir bénéficier de l’abattement de 75 % sur les droits de mutations à titre gratuit de la SNC, mais considérant que la mauvaise évaluation des parts des sociétés ne pouvait lui être imputée. Il a par ailleurs estimé que le préjudice résultant de la perte de chance devait être évaluée à 100 % et a exclu du préjudice indemnisable les intérêts de retard et les frais et honoraires versés au notaire.

Les consorts I interjettent appel de cette décision pour obtenir la condamnation du notaire au paiement des intérêts de retard et les frais et honoraires versés au notaire.

Par un arrêt du 15 décembre 2022 (n° 21/04292) la Cour d’appel de NIMES infirme le jugement mais uniquement sur le montant du préjudice alloué aux consorts I à titre de dommages et intérêts au titre du redressement fiscal portant sur les droits de mutation et en ce qu’il a rejeté la demande de dommages et intérêts formée au titre des intérêts de retard.

Il confirme donc la responsabilité du notaire.

Décryptage

Dans sa proposition de rectification, l’administration fiscale a relevé que :

– l’engagement collectif a été pris le jour même de la donation alors qu’il aurait dû être conclu antérieurement,

– l’engagement collectif a été pris par les donataires alors qu’il aurait dû être pris par le donateur avec un ou plusieurs associés (à l’époque des faits l’engagement unilatéral n’était pas possible),

– le dirigeant de la société ne figure pas parmi les signataires du pacte,

– les donataires attributaires des titres n’ont pas pris l’engagement individuel de conservation des titres pendant 4 ans.

Le premier point invoqué par l’administration fiscale ne nous semble pas pertinent : l’article 787 B du CGI prévoit que l’engagement collectif de conservation doit être en cours au jour de la transmission. Il doit donc pouvoir être signé le même jour que la donation, dès lors qu’il est possible de justifier de son antériorité.

Les autres points ne nous semblent pas soulever de débat. Il résulte de la lettre même de l’article 787 B du CGI que :

– l’engagement collectif de conservation doit être signé par le donataire, pour lui et ses ayants cause à titre gratuit et non par les donataires (sauf cas particulier de l’engament post-mortem) ;

– l’un des signataires de l’engagement collectif de conservation doit exercer effectivement dans la société son activité professionnelle principale/une fonction de direction éligible, à compter de la signature de l’engament collectif. Un donataire peut prendre le relais à compter de la transmission. Il est donc nécessaire qu’un des signataires de l’engagement collectif de conservation remplisse la condition d’exercice d’une fonction de direction ;

– chacun des donataires attributaires doit prendre dans l’acte de donation, l’engagement, pour lui et ses ayants cause à titre gratuit, de conserver les titres transmis pendant une durée de quatre ans à compter de la date d’expiration de l’engagement collectif.

Le notaire soutenait que dès lors que les titres transmis ont été conservés par les donataires et que la condition de conservation des titres n’a pas été rompue, ils pouvaient parfaitement bénéficier du dispositif Dutreil. Qui ne tente rien …

Cet argument « de la dernière chance » n’est évidemment pas retenu par la Cour d’appel. La conservation matérielle des titres ne remplace pas les engagements formels.

Nous tenons à préciser que le notaire en question n’est pas abonné à notre ouvrage « LE PRATICIEN FACE AU DUTREIL » … :

Allons plus loin dans l’analyse : quand démarre le délai de prescription dans une situation aussi grossière ? La réponse dans notre ouvrage.

Un indice : Le temps ne joue pas en faveur du contribuable.

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