Un légataire est, dès avant le décès, en possession du bien qui lui est légué. Doit-il demander la délivrance de son legs ? La Cour de cassation se prononce.
La décision
Une femme décède en juillet 2010 laissant pour recueillir sa succession ses deux enfants et un légataire particulier.
Le legs portait sur un appartement ainsi qu’un local commercial. La légataire occupait l’appartement depuis 1985 et y vivait toujours au moment du décès.
En octobre 2010, les enfants saisissent le tribunal d’une demande en annulation du testament et en paiement d’une indemnité d’occupation.
La Cour d’appel – RENNES 1er juin 2021, n° 03151 – les déboute, retenant notamment que le légataire mis en possession du bien légué par le testateur avant le décès de celui-ci et qui se maintient en possession après ce décès n’est pas tenu de faire une demande de délivrance pour bénéficier de la pleine jouissance du bien légué.
Ils forment un pourvoi invoquant :
– que le légataire particulier qui n’a pas la qualité d’héritier réservataire est tenu en toute hypothèse de solliciter la délivrance de la chose léguée ;
– que le bénéficiaire d’un legs à titre particulier qui s’abstient d’en solliciter la délivrance dans le délai de prescription est privé de tout droit sur la chose léguée.
La Cour de cassation – Cass. Civ.1, 21 juin 2023, n° 21-20.396, Publié au bulletin – casse l’arrêt :
« Vu l’article 1014 du code civil :
3. Il résulte de ce texte que, si le légataire particulier devient, dès l’ouverture de la succession, propriétaire de la chose léguée, il est néanmoins tenu, pour faire reconnaître son droit, de demander la délivrance du legs, peu important qu’il ait été mis en possession de cette chose par le testateur avant son décès.
(…)
Vu les articles 1014, alinéa 2, et 2219 du code civil :
(…)
9. Il en résulte que, lorsque l’action en délivrance du légataire particulier est atteinte par la prescription, celui-ci, qui ne peut plus se prévaloir de son legs, ne peut prétendre aux fruits de la chose léguée. »
Pour consulter la décision :
Décryptage
Cet arrêt permet tout d’abord de préciser que le légataire, même entré en possession par le fait du testateur, n’est pas dispensé de demande la délivrance de son legs.
Certes, une délivrance tacite du legs est possible : mais cette délivrance doit être le fait des héritiers réservataires (ou du légataire universel, ou des héritiers) et non du testateur.
Une mise en possession consentie par le testateur antérieurement à son décès ne dispense le légataire de demander la délivrance de son legs.
Cet arrêt rappelle ensuite les conséquences de la prescription de l’action en délivrance de legs : perte du bénéfice du legs et donc perte des fruits de la chose qui avait été léguée.
A défaut de délivrance, le légataire est déchu de ses droits.
Enfin, cet arrêt valide implicitement le délai de 5 ans pour la prescription de l’action en délivrance de legs. Il confirme également la solution retenue dans un arrêt du 30 septembre 2020 (Cass. Civ.1, 30 septembre 2020, n° 19-11.543) : la prescription de l’action en délivrance de legs n’est pas suspendue par l’action en nullité du testament engagée par un héritier réservataire.