L’incapacité de recevoir un legs, instituée par le Code civil à l’encontre des soignants, a vocation à protéger les personnes présumées vulnérables. Mais une telle présomption, par l’atteinte qu’elle porte à leur liberté, n’est-elle pas contraire à la constitution ? Le Conseil constitutionnel est une nouvelle fois contraint de se prononcer.
La décision
Une personne décède en avril 2014, laissant pour lui succéder son frère, et en l’état d’un testament olographe d’octobre 2012 instituant son infirmière libérale légataire de divers biens mobiliers et immobiliers.
Le frère soulève l’incapacité de recevoir de la légataire sur le fondement de l’article 909 du Code civil.
Par arrêt du 23 février 2022, la cour d’appel de PARIS, statuant sur renvoi après cassation (Civ. 1, 16 septembre 2020, pourvoi n°19-15818), transmet une QPC :
« Les dispositions de l’article 909, alinéa 1er du code civil, qui interdisent à une personne de gratifier les auxiliaires médicaux qui lui ont procuré des soins au cours de sa dernière maladie, sont-elles contraires aux articles 2, 4, 17 de la Déclaration des droits de l’homme et du citoyen en ce qu’elles portent atteinte au droit de disposer librement de ses biens en dehors de tout constat d’inaptitude du disposant ? »
Par un arrêt n°22-40005 du 24 mai 2022, la 1ère Chambre civile de la Cour de cassation a estimé que la QPC présentait un caractère sérieux et qu’il y avait donc lieu de la renvoyer au Conseil constitutionnel :
Par une décision n°2022-1005 du 29 juillet 2022, le Conseil constitutionnel déclare l’alinéa 1er de l’article 909 du Code civil conforme à la constitution :
https://www.conseil-constitutionnel.fr/decision/2022/20221005QPC.htm
Décryptage
Il y a environ 1 an, le Conseil constitutionnel s’était déjà prononcé sur un sujet similaire. Il avait à l’époque considéré inconstitutionnelle l’incapacité générale de recevoir des auxiliaires de vie, instituée par l’article L 116-4 du Code de l’action sociale et des familles, en ce qu’elle portait au droit de propriété une atteinte disproportionnée à l’objectif poursuivi.
A l’inverse, dans le cas de l’article 909 du Code civil, le Conseil constitutionnel admet la constitutionnalité de la disposition aux motifs que :
l’atteinte au droit de disposer de son patrimoine est justifié par un objectif d’intérêt général : « assurer la protection de personnes dont il a estimé que, compte tenu de leur état de santé, elles étaient placées dans une situation de particulière vulnérabilité vis-à-vis du risque de captation d’une partie de leurs biens par ceux qui leur prodiguaient des soins »
l’atteinte au droit de disposer présente un caractère proportionné au regard de l’objectif poursuivi en raison de la double limitation prévue :
- limitation dans le temps : l’interdiction ne vaut que pour les libéralités consenties pendant le cours de la maladie dont le donateur ou le testateur est décédé ;
- limitation au regard des personnes auxquelles l’interdiction s’applique et en fonction de la nature des soins prodigués : « elle ne s’applique qu’aux seuls membres des professions médicales, de la pharmacie et aux auxiliaires médicaux énumérés par le code de la santé publique, à la condition qu’ils aient dispensé des soins en lien avec la maladie dont est décédé le patient ».
Rappelons que l’article 909 du Code civil pose également une interdiction concernant :
- les mandataires judiciaires à la protection des majeurs (quelle que soit la date de la libéralité) ;
- les ministres du culte.