Une personne consent une donation de titres de SCI en vue d’organiser son insolvabilité face à son créancier. L’acte constatant la modification consécutive des statuts, bien que n’appauvrissant pas le débiteur, peut-il être reconnu inopposable au créancier en vertu de l’action paulienne ? La cour de cassation se prononce.
La décision
Suite à un conflit né entre eux, la société commerciale de télécommunications dépose une plainte pour abus de confiance à l’encontre de Monsieur P.
Peu de temps après, au printemps 2010, Monsieur P et son épouse constituent la société civile immobilière « Sainte Victoire » afin d’acquérir un bien immobilier.
En septembre 2015, Monsieur P est condamné à payer plus de 600.000 € à la SCT à titre de dommages-intérêts.
En avril 2017, Monsieur P consent une donation-partage de la nue-propriété de ses parts de la SCI à chacun de ses deux enfants mineurs. Dans la foulée, les statuts de la SCI sont mis à jour.
La SCT assigne alors Monsieur et Madame P et la SCI afin de voir déclarer inopposables à son égard la constitution de la SCI, l’acte de donation-partage et la modification des statuts de la SCI.
La Cour d’appel retient l’inopposabilité de l’acte de donation-partage mais pas celle de l’acte de modification statutaire consécutive, au motif que ledit acte n’a pas appauvri le débiteur.
Par un arrêt n°21-15.886 du 6 juillet 2022, la Cour de cassation, Chambre civile 1, casse :
« Vu l’article 1341-2 du code civil :
Selon ce texte, le créancier peut agir en son nom personnel pour faire déclarer inopposable à son égard les actes faits par son débiteur en fraude de ses droits.
Pour rejeter la demande de la société en inopposabilité de l’acte du 6 avril 2017, l’arrêt retient que, si la modification des statuts est la conséquence de la donation du 4 avril 2017, elle n’est pas un acte qui appauvrit le débiteur, de sorte qu’elle ne peut être concernée par l’action paulienne.
En statuant ainsi, alors que l’inopposabilité de la donation-partage portant sur la nue-propriété des parts sociales entraînait, par voie de conséquence, l’inopposabilité de la modification des statuts de la SCI quant à la nue-propriété de ces parts, la cour d’appel a violé le texte susvisé. »
Décryptage
L’action paulienne (article 1341-2 du Code civil) est ouverte au créancier pour sanctionner la fraude du débiteur sous réserve de prouver deux éléments :
- Un élément objectif : un acte d’appauvrissement du débiteur,
- Un élèvement subjectif : l’intention (ou même la simple conscience) de nuire du débiteur à son créancier.
En présence d’un acte à titre onéreux, il faut également pouvoir justifier que le tiers cocontractant avait connaissance de la fraude.
Si la fraude est constituée, la sanction est l’inopposabilité des actes à l’égard du créancier.
Cette inopposabilité frappe non seulement l’acte frauduleux lui-même mais également ceux qui en découlent, même si ces derniers ne remplissent pas en eux-mêmes les conditions de l’action paulienne. Dans le même sens, la Cour de cassation a déjà jugé que l’inopposabilité pour fraude d’un acte de changement de régime matrimonial a pour effet nécessaire d’entrainer l’inopposabilité de tous les actes qui ont été la suite de ce changement de régime (Cass. Civ.1, 14 avril 1982, n° 80-16.316, Publié au bulletin).
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