Détention de la résidence principale par l’intermédiaire d’une société pour déduire les charges et imputer un déficit foncier. Dans trois décisions, le CADF retient l’abus de droit.
Les faits
En 2006, M. Z et ses deux enfants, M. X et Mme Y, constituent la SCI « A », en procédant aux apports suivants :
– M. Z : la moitié indivise d’un ensemble immobilier, valorisée à 463.750 €,
– chacun de ses enfants X et Y : une somme de 231.875 €.
Le même jour, la SCI A, en cours de formation, acquiert l’autre moitié indivise dudit ensemble immobilier, au prix de 463.750 €.
Afin de financer des travaux d’entretien, de réparation et d’amélioration, la SCI souscrit deux emprunts bancaires pour plus de 1.000.000 €.
Au fil du temps et des travaux réalisés, la SCI conclut des baux d’habitation, à usage de résidence principale, au profit de chacun des trois associés. Les loyers sont réglés.
Les résultats de la SCI, sont déterminés selon les règles des revenus fonciers et imposés, conformément à l’article 8 du CGI, au nom de ses associés au prorata de leurs droits dans cette société. La SCI A déclare au titre des années 2016, 2017 et 2018 des résultats fonciers déficitaires s’élevant respectivement à 103.438 €, 99.164 € et 49.571 €.
Ces déficits ont pour origine les charges déclarées, constituées d’intérêts d’emprunt et de dépenses d’entretien, de réparation et d’amélioration, qui ont excédé significativement les recettes locatives correspondant aux loyers facturés aux trois associés de la SCI ainsi qu’à une tierce personne, locataire depuis 1992 d’une maison comprise dans la propriété.
L’administration met en oeuvre la procédure de l’abus de droit fiscal. Elle estime que la location par cette SCI familiale à ses trois associés d’une partie des locaux de la propriété n’avait d’autre but que de permettre aux contribuables l’imputation des déficits fonciers de cette propriété, dont ils avaient conservé la jouissance, sur les autres revenus fonciers qu’ils ont retirés à raison d’autres immeubles détenus par une autre SCI familiale et, en faisant ainsi échec aux dispositions du II de l’article 15 du code général des impôts, de minorer pour chacun d’eux leur impôt sur le revenu.
Les décisions du Comité de l’abus de droit
(Séance n°4 du 29 septembre 2022 : Affaire n° 2022-07 concernant M.X, Affaire n° 2022-08 concernant Mme Y et Affaire n° 2022-09 concernant M. Z).
Le Comité constate qu’en dehors de la location consentie à un tiers en 1992 préalablement à la constitution de la SCI A, qui ne possède que cet ensemble immobilier, les locations ont été consenties par cette SCI exclusivement à ses trois associés, membres de la famille, qui ont occupé les biens loués à titre de résidence principale.
Le Comité constate au surplus que les associés de la SCI A sont également associés dans les mêmes proportions dans la SCI B et que cette dernière société génère des revenus fonciers bénéficiaires depuis 2006, de sorte que, par l’imputation des déficits fonciers dégagés par la SCI A sur les bénéfices fonciers réalisés par la SCI B, ces associés ont chacun minoré le montant de leur impôt sur le revenu et de leurs contributions sociales.
Le Comité estime que, dans les circonstances de l’espèce et alors même que le montant du loyer n’a pas été remis en cause par l’administration, la SCI A ne s’est pas comportée avec ses associés comme avec un tiers et que ceux-ci ont ainsi disposé du bien comme s’ils en étaient le propriétaire occupant et se sont, de la sorte, placés dans une situation offrant les possibilités de sous-estimation des résultats fonciers que le législateur a entendu combattre.
Le Comité en déduit que cette application littérale des dispositions du II de l’article 15 du CGI allant à l’encontre des objectifs poursuivis par leurs auteurs, l’administration était fondée à remettre en cause les déficits fonciers issus de la SCI A.
Le Comité émet en conséquence l’avis que l’administration était fondée à mettre en œuvre la procédure de l’abus de droit fiscal.
Enfin, le Comité estime que, le contribuable doit être regardé comme ayant eu l’initiative principale de l’acte constitutif de l’abus de droit et, en outre, comme en ayant été l’un des principaux bénéficiaires. Il émet donc l’avis que l’administration est fondée à appliquer la majoration de 80 % prévue par ces dispositions.
Pour consulter les décisions :
https://www.impots.gouv.fr/les-avis-commentes-par-ladministration
Décryptage
En principe, la valeur locative des biens immobiliers non loués doit être intégrée dans les revenus fonciers de leur propriétaire.
Par exception, les locaux d’habitation dont le propriétaire se réserve la jouissance ne sont pas concernés (article 15 II CGI).
Corrélativement, aucune charge (intérêts d’emprunt, dépenses d’entretien, de réparation et d’amélioration) ne peut être déduite.
Régulièrement, certains contribuables tentent de contourner ces dispositions en devenant locataires de leur propre société, dans le but de déduire les charges de leur résidence principale et le cas échéant imputer un déficit foncier.
Une fois de plus, ce « montage » est remis en cause. Compte tenu des circonstances de l’espèce, ni le paiement réel du loyer dont le montant même n’a pas été remis en cause par l’administration, ni l’existence d’une location consentie à un tiers, n’ont permis d’écarter l’abus de droit.
La sanction est d’autant plus lourde que la majoration de 80% est ici appliquée.
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