Lorsqu’un bien reçu à titre gratuit est revendu, la rectification de la valeur initiale peut-elle être prise en compte pour le calcul de l’impôt de plus-value ? Le Conseil d’Etat confirme sa jurisprudence par un arrêt du 27 nov 2019. Qu’en est-il en cas de rectification volontaire par le contribuable lui-même ? Synthèse.
La décision
Le 1er février 2009, Madame A donne à ses trois fils la nue-propriété de ses droits indivis sur une maison, pour une valorisation de 880.000 €.
Le 20 novembre 2010, ladite maison est vendue.
Le 28 juin 2012, l’administration procède à un rehaussement de la valeur retenue pour la donation : 4.268.297 € au lieu de 880.000 € !
La mise en recouvrement du complément de droits n’intervient que le 23 février 2015.
Par ailleurs, l’administration refuse l’exonération de plus-value de l’un des vendeurs au titre de la cession de la résidence principale, et ne tient pas compte pour les vendeurs donataires du rehaussement de la valeur de donation au motif qu’il procédait d’un évènement postérieur au fait générateur de la plus-value.
Le Conseil d’Etat, par une décision du 27 novembre 2019 (9ème et 10ème chambres réunies) mentionnée dans les tables du recueil Lebon, énonce au contraire que, même si la rectification définitive par l’administration fiscale est postérieure à la cession, la valeur ainsi rectifiée peut être retenue pour le calcul de plus-value :
« … pour le calcul du montant de la plus-value taxable en cas de cession d’un bien immobilier obtenu à titre gratuit, le prix d’acquisition de ce bien doit être fixé à la valeur retenue pour le calcul des droits de mutation. Cette valeur doit en principe être prise en compte, qu’elle procède d’une déclaration du contribuable au titre des droits d’enregistrement ou, le cas échéant, d’une rectification définitive de cette déclaration par l’administration fiscale. La rectification définitive de la valeur vénale retenue pour le calcul des droits de mutation postérieurement à la cession ouvre la possibilité, pour le contribuable, de demander la prise en compte de cette valeur rectifiée pour l’imposition de la plus-value de cession, soit dans le cadre d’un litige en cours relatif à cette imposition, soit par la voie d’une réclamation, la fixation de la valeur rectifiée devant alors être regardée comme un événement de nature à rouvrir le délai de réclamation au sens du c) de l’article R. 196-1 du livre des procédures fiscales. Il n’en va autrement que si l’administration établit que la valeur retenue pour les droits d’enregistrement était dépourvue de toute signification, c’est-à-dire qu’elle est sans rapport avec la valeur réelle du bien. Dans l’hypothèse où aucune valeur n’a été déclarée pour la détermination des droits de mutation, l’administration peut affecter au bien en cause une valeur nulle, à moins que le contribuable ne soit en mesure de justifier sa valeur d’acquisition à la date de cette dernière. »
Attention que cette solution ne vaut que pour les rectifications à l’initiative de l’administration fiscale, pas celles à l’initiative du redevable.
Rappels
Rectifications subies
Lorsque l’origine de propriété est une mutation à titre gratuit, que ce soit une donation ou une succession, le prix de revient pour la détermination de la plus-value de revente éventuelle correspond à l’assiette de taxation des droits de mutation à titre gratuit (art 150-0 D du CGI). La circonstance que le déclarant bénéficie d’une exonération ou d’un abattement de droits de mutation à titre gratuit est, à cet égard, sans incidence (Ex : Dutreil).
Il en résulte que si la valeur retenue fait l’objet d’une rectification par l’administration, c’est la valeur rectifiée qui servira de base au calcul de la plus-value de revente, y compris si cette rectification intervient après le fait générateur de la plus-value, ainsi que l’a énoncé le Conseil d’Etat dans l’arrêt ci-dessus.
Le principe joue à la hausse comme à la baisse. Si la valeur de transmission à titre gratuit est volontairement excessive pour assurer l’absence de plus-value de revente, l’administration pourra :
- Soit rectifier le calcul des droits de mutation à titre gratuit pour pouvoir rectifier le calcul de plus-value,
- Soit rectifier directement la base de calcul de la plus-value sans modifier le calcul des droits de mutation à titre gratuit, à condition d’établir que la valeur retenue pour les droits d’enregistrement était dépourvue de toute signification (CE, 3e et 8e ss-sect., 12 oct. 2011, n° 324717, « Rastier »).
En l’absence de déclaration de la transmission (succession ou don manuel non déclaré), aucune valeur n’a été retenue pour la détermination des droits de mutation, l’administration peut donc retenir comme prix de revient de la plus-value, une valeur nulle, à moins que le contribuable ne soit en mesure de justifier de leur valeur d’acquisition à la date de cette dernière (CE, 10e et 9e ss-sect., 7 avr. 2006, n° 270443, « Betz ». En l’espèce, la production du bilan et les résultats financiers des cinq derniers exercices et les mouvements d’actions de la société n’ont pas suffi …).
Rectifications volontaires
La valeur retenue pour le calcul des droits de mutation à titre gratuit (successions mais également donations) peut être rectifiée par le contribuable lui-même pour le calcul de l’impôt de plus-value à 3 conditions :
- La déclaration rectificative doit intervenir dans le délai de réclamation de l’article R*196-1 du LPF, c’est-à-dire jusqu’au 31 décembre de la seconde année suivant le versement des droits,
- La valeur rectifiée doit correspondre à la valeur vénale du bien à l’époque de la transmission,
- Et la revente ne doit pas être réalisée ni ne serait-ce qu’engagée (CAA Paris, 19 déc. 1989, n° 462 : RJF 1990, n° 429 – CE 25 mai 1988, n° 81512 : RJF 1988, n° 874 – CAA Bordeaux, 20 févr. 2003, n° 99-237 : RJF 2003, n° 850).
Dans le cas non pas d’une rectification mais d’une déclaration postérieure à la cession (don manuel déclaré seulement après la cession), le Conseil d’Etat (arrêt du 25 novembre 2015, n° 378004) a jugé que la valeur ainsi déclarée ne peut pas être prise en compte pour le calcul de la plus-value dégagée lors de la cession.
La déclaration rectificative doit s’accompagner du versement du complément de droits, des intérêts de retard et de la majoration de recouvrement de 5 % prévue par l’article 1731 du CGI.
Si le contribuable a déclaré à l’origine une valeur volontairement inférieure à la réalité pour décaler le paiement de l’impôt total, il peut être fait application de la majoration pour manquement délibéré de l’article 1729 du CGI : 40 voire 80% ! L’administration doit prouver un élément intentionnel comme par exemple un mandat de vente concomitant à la transmission pour une valeur supérieure.
Le BOFIP fournit un tableau récapitulatif, qui n’est que partiel mais qui précise que s’il n’est envisagé que l’hypothèse d’une succession, les solutions présentées valent bien entendu pour toutes les mutations à titre gratuit.
BOI-ENR-DMTG-10-40-10-60
Valeur vénale réelle du bien | Valeur d’acquisition (VA) à retenir pour le calcul d’une plus-value de cession | Droits de succession | ||
Déclaration de succession initiale | Cas général | V | VA = V | Sur V (à la souscription de la déclaration) |
En cas de rehaussement par la FI de la valeur déclarée | V + R | VA = V + R | Rappel de droits sur R | |
Déclaration de succession rectificative | Valeur portée à V + N | V + N | VA = V + N | Complément sur N au dépôt de la déclaration rectificative + majoration de 40% pour mauvaise foi si le service établit que le contribuable connaissait la valeur réelle dès l’origine |
V | VA = V Si la VA déclarée pour le calcul de la plus-value est V + N, redressement avec majoration de 40% pour manquement délibéré si le service établit que le contribuable connaissait la valeur réelle | Complément sur N au dépôt de la déclaration rectificative, ensuite remboursé si l’administration confirme que la valeur est V (1) | ||
Valeur réduite à V – N | V – N | VA = V – N | Remboursement du différentiel (2) | |
V | VA = V | Déclaration de succession rectificative sans incidence (2) |
l’administration doit se prononcer sur la valeur vénale réelle du bien pour le calcul de la plus value et en tirer toutes les conséquences au regard des droits de succession. Au cas particulier si la valeur d’acquisition retenue pour la détermination de la plus-value est V, le complément de droits de succession perçu lors du dépôt de la déclaration rectificative doit être remboursé.
(2) Il appartient en principe au déclarant d’établir que la valeur initialement déclarée avait été surévaluée. Dans tous les cas, il conviendra de veiller à ne pas retenir de position contradictoire au regard des deux impositions (droits de succession et impôt sur la plus-value).