La qualification en primes manifestement exagérées est-elle acquise ? Pas nécessairement. Illustration par un arrêt de la Cour d’appel de PARIS.
La décision
M. B décède en 2007, laissant pour lui succéder Mme F, son épouse, et ses deux filles nées d’une précédente union.
Il avait souscrit plusieurs contrats d’assurance-vie.
Les filles assignent la veuve aux fins notamment d’obtenir la réintégration dans la succession des contrats d’assurance-vie dont elle est bénéficiaire, sur le fondement des primes manifestement exagérées.
Ayant été déboutées par le TJ d’Evry, elles forment appel invoquant notamment que « 87 % de la valeur du patrimoine du défunt avait été placée sur les contrats d’assurance-vie et qu’il existe une disproportion entre les primes versées sur les contrats d’assurance-vie et l’actif net successoral puisque lors de l’ouverture de la succession, la valeur globale des six contrats d’assurance vie s’élevait à plus de 900 000 € alors que l’actif net successoral s’élevait à 81 531,34 €. Elles reprochent au tribunal de ne pas avoir tenu compte du critère de l’utilité des contrats d’assurance vie souscrits alors qu’elles estiment qu’en l’espèce, l’absence d’intérêt personnel ou économique des nombreux et importants versements sur les contrats d’assurance-vie souscrits démontrent que ces versements avaient pour seul but de soustraire l’essentiel de l’actif de la succession. »
La Cour d’appel de PARIS (CA PARIS, 25 janvier 2023, n° 21/01804) les déboute :
« l’essentiel des primes d’assurance-vie a été versé alors que [Y] [B] était encore en âge d’espérer disposer de revenus de placements à long termes et optimisés sur le plan fiscal, correspondait au placement de fonds provenant de la vente de sa société ou d’une vente immobilière, et lui permettait d’obtenir des revenus supplémentaires afin de compléter sa retraite, puisqu’il avait, comme l’a constaté l’expert, mis en place des retraits partiels programmés pour compléter sa retraite.
Ainsi il n’est pas démontré que les primes étaient, au moment de leur versement, manifestement exagérées ni que les contrats n’avaient pas d’utilité pour le souscripteur. »
Pour consulter la décision : https://www.courdecassation.fr/decision/63d22a889b3c8605deec1f9b?search_api_fulltext=21/01804&date_du=&date_au=&judilibre_juridiction=all&op=Rechercher%20sur%20judilibre&previousdecisionpage=0&previousdecisionindex=2&nextdecisionpage=0&nextdecisionindex=4
Décryptage
Comme l’a récemment rappelé la Cour de cassation (16 juin 2022, n° 20-20.544), le caractère manifestement exagéré des primes eu égard aux facultés du souscripteur s’apprécie au moment de leur versement, au regard de l’âge ainsi que des situations patrimoniale et familiale du souscripteur et de l’utilité du contrat pour ce dernier.
Pour plus de précision sur cet arrêt, vous pouvez consulter :
Le caractère manifestement exagéré s’appréciant au moment du versement des primes, elles n’ont pas à être comparées au montant de l’actif successoral.
La Cour d’appel procède à une analyse de chaque période de versements :
– 1989/1990 : souscripteur âgé de 62 ans (17 ans avant son décès), ayant procédé à 2 versements (152.441,39 € et 106.714,31 €). La concomitance avec la cession de la société dont il était gérant est soulignée. Il percevait alors un revenu mensuel de l’ordre de 3.000 €, outre des revenus fonciers et était imposable à l’ISF.
– 2005 : souscripteur âgé de 78 ans ayant procédé à un versement de 219.000 €, faisant suite à la vente d’un appartement dont il était propriétaire indivis. Il percevait alors un revenu mensuel de l’ordre de 4.000 €. La Cour d’appel retient que même si ses charges étaient supérieures, son patrimoine lui permettait d’y faire face.
La Cour d’appel en conclut que : « l’essentiel des primes d’assurance-vie a été versé alors que [Y] [B] était encore en âge d’espérer disposer de revenus de placements à long termes et optimisés sur le plan fiscal, correspondait au placement de fonds provenant de la vente de sa société ou d’une vente immobilière, et lui permettait d’obtenir des revenus supplémentaires afin de compléter sa retraite, puisqu’il avait, comme l’a constaté l’expert, mis en place des retraits partiels programmés pour compléter sa retraite. »
La formulation laisse penser qu’ici les juges « valident » l’intérêt pour une personne qui cède des actifs, de placer la somme en assurance-vie compte tenu des revenus générés, de leur fiscalité et de leur disponibilité.
Ce qui n’est pas toujours le cas, certains juges ayant estimé qu’en l’absence de projet particulier (tel que le financement de frais d’hébergement en maison de retraite), les versements n’avaient pas d’intérêt pour le souscripteur.
Pour plus de précisions, vous pouvez consulter :
Mais dans ce cas, il n’y avait eu aucun rachat partiel, au contraire de la présente espèce, où des rachats partiels étaient programmés.
Une fois de plus, on peut noter l’importance de « faire vivre » ses contrats d’assurance-vie, comme le rappelle régulièrement M. AULAGNIER.