Les droits de mutation à titre gratuit acquittés par le donateur sont-ils déductibles pour le calcul de la plus-value de cession de valeurs mobilières ? Une Cour d’appel se prononce.
La décision
En décembre 2015, M. et Mme A donnent la nue-propriété de titres d’une SA à leur fille, s’en réservant l’usufruit.
En février 2016, la fille et les parents cèdent ensemble la pleine propriété des titres.
Le prix de cession fait l’objet d’un réinvestissement avec report du démembrement.
Dans un premier temps, la plus-value déclarée n’intègre pas les droits de mutation à titre gratuit acquittés par les donateurs.
Estimant finalement qu’ils étaient déductibles, la fille forme une réclamation à fin de réduction de l’imposition mise à sa charge, ce que l’administration refuse.
La Cour administrative d’appel – CAA NANTES, 21 juillet 2023, n° 22NT03428 – refuse également :
« la requérante n’est pas fondée à soutenir que les frais de donation de la nue-propriété, pris en charge par ses parents, les donateurs, devaient être inclus dans le prix effectif d’acquisition, pour le calcul de la plus-value de cession. »
Pour consulter la décision :
Décryptage
En cas de cession de titres démembrés, si le prix de vente est remployé en démembrement, la plus-value est imposable au nom du nu-propriétaire (BOI-RPPM-PVBMI-20-10-20-60).
Concernant la prise en compte des frais d’acquisition, la doctrine administrative précise, s’agissant d’une acquisition à titre gratuit : BOI-RPPM-PVBMI-20-10-20-30 n° 80
« (…) ces frais ne peuvent s’ajouter au prix d’acquisition que s’ils ont été effectivement supportés par le contribuable et si l’intéressé peut en apporter la justification (présentation de tous les documents pouvant servir de preuve qui seront demandés par le service en tant que besoin). »
Dans l’hypothèse d’une cession de titres démembrés avec répartition du prix de vente, chacun des titulaires des droits démembrés déclare sa propre plus-value. La cession de l’usufruit et celle de la nue-propriété sont traitées comme deux cessions séparées. Dans ce cas, pas de doute : si c’est le donateur qui a payé les droits de mutation à titre gratuit, le donataire, seul cédant de la nue-propriété, ne pourra pas en déduire le montant dans le calcul de sa plus-value.
Mais dans le cas particulier de la cession de titres démembrés, le calcul de la plus-value est globalisé : plus-value afférente à l’usufruit + plus-value afférente à la nue-propriété.
Dès lors que le calcul est globalisé, dans l’hypothèse classique d’un démembrement parent/enfant où les parents ont payé les droits de donation, ne pourrait-on pas alors déduire le montant de ces droits dès lors que l’usufruitier, à l’origine d’une partie de la plus-value imposable, a réglé les droits afférents à la transmission de la nue-propriété ?
C’est ce que certains soutenaient au regard d’une décision du Conseil d’Etat – CE, 11 mai 2017, n° 402479 – qui a énoncé :
« En principe, le prix effectif d’acquisition mentionné à l’article 150-0 D cité ci-dessus ne comprend que les frais et taxes acquittés par le cédant à l’occasion de l’acquisition du bien cédé. Toutefois, dans l’hypothèse, d’une part, où le cédant est le nu-propriétaire et, d’autre part, lorsque le prix de cession est remployé pour l’acquisition d’un autre bien sur lequel le démembrement est reporté, le prix effectif d’acquisition comprend l’ensemble des frais et taxes qui ont grevé l’acquisition, tant de la nue-propriété que de l’usufruit, alors même que ces frais ont été acquittés par l’usufruitier. Dans cette hypothèse, le cédant est en droit de se prévaloir des frais acquittés par l’usufruitier pour l’acquisition de l’usufruit, lorsqu’il calcule la plus-value imposable à raison de laquelle il est seul susceptible d’être taxé. »
Sortie de son contexte, la phrase « le prix effectif d’acquisition comprend l’ensemble des frais et taxes qui ont grevé l’acquisition, tant de la nue-propriété que de l’usufruit, alors même que ces frais ont été acquittés par l’usufruitier » laisse effectivement penser que l’on peut prendre en compte l’ensemble des frais d’acquisition, que ce soit le nu-propriétaire ou l’usufruitier qui les ait réglés.
Toutefois, l’hypothèse était particulière : il s’agissait d’une donation par le père au profit de son épouse pour l’usufruit et de ses enfants pour la nue-propriété. La mère avait acquitté les droits de mutation à titre gratuit afférent à l’usufruit reçu. Le prix de cession des titres démembrés avait été remployé dans l’acquisition d’un bien démembré. Compte tenu du report du démembrement, le redevable de l’impôt de plus-value était le nu-propriétaire, pour la totalité (partie afférente à la nue-propriété et partie afférente à l’usufruit). Le nu-propriétaire entendait déduire le montant des frais payés par l’usufruitière.
Certes, ces frais d’acquisition n’avaient pas été supportés par le contribuable, le nu-propriétaire en l’occurrence. Pourtant, le Conseil d’Etat a admis leur prise en compte.
Mais, il nous semble qu’il ne s’agissait pas d’une prise en compte des frais dès lors que l’un quelconque entre usufruitier et nu-propriétaire a réglé les frais d’acquisition mais d’une prise en compte des frais afférents à chaque droit (usufruit/nue-propriété) dès lors que le titulaire dudit droit les a réglés.
Les conclusions du rapporteur public vont en ce sens :
« En réalité, il faut considérer, en présence d’une clause de remploi, que le nu-propriétaire vend pour le compte de l’usufruitier l’usufruit dont celui-ci ne s’est que temporairement dessaisi. Et si le nu-propriétaire agit pour le compte de l’usufruitier, il paraît logique que la cession soit réalisée aux conditions dans lesquelles l’usufruitier aurait pu lui-même y procéder. Pour déterminer la valeur du second terme de comparaison, il y a donc lieu, d’une part, de retenir le prix d’acquisition à titre onéreux ou la valeur d’acquisition à titre gratuit de l’usufruit par l’usufruitier, et d’autre part, d’ajouter les frais d’acquisition que celui-ci a, le cas échéant, exposés. »
Il s’agirait de conserver une unité d’imposition, quel que soit le sort du prix de vente. Que le prix soit réparti, qu’il fasse l’objet d’un report du démembrement ou encore d’un quasi-usufruit, le calcul de la plus-value reste le même. Seul le redevable change.
La Cour d’appel semble suivre cette logique en excluant la prise en compte des frais payés par les donateurs pour le compte de la donataire.
Si le prix de cession avait été réparti, chacun aurait payé sa propre plus-value, sans que la nue-propriétaire ne puisse déduire des frais qu’elle n’avait pas réglés personnellement.
En pratique, en cas de donation avant cession, il est indispensable d’anticiper la question tant de la prise en charge des frais que de la prise en charge de l’impôt de plus-value, surtout lorsque le redevable sera le nu-propriétaire.