Lorsque le droit à reconstruire le bâtiment à l’identique en cas de destruction est acquis, la valeur rapportable n’est-elle pas plus importante que celle d’un terrain non constructible ? La Cour d’appel de CHAMBERY se prononce.
La décision
Une personne décède en décembre 2011, laissant pour lui succéder son conjoint survivant, deux enfants d’un premier mariage, et ses quatre enfants issus de sa seconde union. Le conjoint survivant décède en janvier 2015, laissant pour lui succéder ses quatre enfants. En 2019, un partage judiciaire est demandé devant le TJ de BONNEVILLE.
Seuls certains enfants ont reçu des parents des donations simples de terrains, constructibles à la donation mais devenus inconstructibles au partage suite à des changements de PLU. Les héritiers créanciers du rapport successoral font valoir que les terrains ont été construits. Ils ne peuvent donc être considérés, au jour du partage, comme des terrains inconstructibles et la jurisprudence retient que l’évaluation peut s’effectuer comme un terrain supportant un bâtiment reconstructible à l’identique en application de l’article L.111 .1 -2 du code de l’urbanisme, si bien qu’il faut donc reconsidérer les valeurs rapportables des terrains en fonction du mètre carré constructible actuel.
La Cour d’appel – CA CHAMBERY 3 octobre 2023 RG n°21/00917 – confirme le jugement du TJ de BONNEVILLE 5 mars 2021 :
« En application de l’article 843 du code civil, l’héritier appelé à une succession doit rapporter à ses cohéritiers les donations reçues du défunt. L’article 860 du même code dispose que ‘le rapport est dû de la valeur du bien donné à l’époque du partage, d’après son état à l’époque de la donation.’… C’est donc par une exacte appréciation des circonstances de la cause que le premier juge a considéré que pour évaluer la valeur des biens donnés en 1982 à Mmes [C] et [I] [U] et en 1983 à Mme [K] [O], il y avait lieu de tenir compte de la valeur des terrains non constructibles au jour du partage. »
Pour consulter la décision :
Décryptage
L’administration exprime la règle du droit à reconstruire en cas de destruction qui nous intéresse ici de manière simplifiée :
« Un bâtiment peut être reconstruit « à l’identique » dans un délai de 10 ans après sa destruction ou sa démolition même si sa reconstruction est contraire aux règles d’urbanisme en vigueur. Cela concerne uniquement les bâtiments construits dans la légalité. Vous devez prouver que la construction a été autorisée par un permis de construire ou qu’elle date d’avant le 15 juin 1943. Le nouveau bâtiment doit être strictement identique à celui qui a été détruit ou démoli. Cependant, cette reconstruction peut être refusée si le PLU, … »
Le rapport est dû de la valeur au partage du bien reçu dans son état à la donation. Cette règle a vocation à ne pas faire payer au débiteur la plus-value générée par son action éventuelle.
Un terrain devenu non-constructible sera donc rapporté pour une valeur minime, même s’il était constructible initialement.
Mais la question posée ici est plus subtile : lorsque le terrain a été bâti entre temps, et qu’en cas de destruction de la construction, le droit à reconstruire à l’identique est acquis, la valeur rapportable du terrain n’est-elle pas plus importante que celle d’un terrain non-constructible ?
Répondre favorablement reviendrait à tenir compte de l’action du donataire, ce que la Cour d’appel refuse pour rester dans une interprétation stricte de l’article 860 du Code civil.
Cette décision est conforme à la jurisprudence de la Cour de cassation (notamment Cass. civ. 1, 11 septembre 2013, 12-17.277, Publié au bulletin).