Une déclaration préalable de division, sans document d’arpentage, est-elle suffisante pour justifier de « l’identité physique » permettant de bénéficier de la TVA sur la marge ?
Le Conseil d’Etat se prononce.
Décision
Une société exerçant l’activité de marchand de biens a vendu, entre 2012 et 2013, quatre terrains à bâtir issus de la division d’une propriété comprenant une maison sur un terrain formé de deux parcelles, acquis en 2012.
L’administration fiscale a remis en cause l’application à ces ventes du régime de la TVA sur la marge prévue par l’article 268 du code général des impôts, pour défaut d’identité juridique.
L’acte d’acquisition mentionnait l’existence d’une déclaration préalable de division mais les documents d’arpentage procédant à la division effective des parcelles ainsi acquises étaient postérieurs à l’acquisition.
La société forme un pourvoi contre l’arrêt de la cour administrative d’appel de Bordeaux du 9 juillet 2020 ayant donné raison à l’administration.
Le Conseil d’Etat (CE, 17 juin 2022, n° 443893) rejette le pourvoi :
« 3. Il résulte de ces dernières dispositions, lues à la lumière de celles de la directive dont elles ont pour objet d’assurer la transposition, que les règles de calcul dérogatoires de la taxe sur la valeur ajoutée qu’elles prévoient s’appliquent aux opérations de cession de terrains à bâtir qui ont été acquis en vue de leur revente et ne s’appliquent donc pas à une cession de terrains à bâtir qui, lors de leur acquisition, avaient le caractère d’un terrain bâti, notamment quand le bâtiment qui y était édifié a fait l’objet d’une démolition de la part de l’acheteur-revendeur ou quand le bien acquis a fait l’objet d’une division parcellaire en vue d’en céder séparément des parties ne constituant pas le terrain d’assiette du bâtiment.
4. (…) Il s’ensuit qu’en relevant, par une appréciation souveraine non entachée de dénaturation, que lors de leur achat par la société requérante les terrains en litige n’avaient pas le caractère de terrain à bâtir alors même qu’ils avaient pu faire l’objet d’une déclaration préalable antérieure de division, pour en déduire que leur revente ne pouvait être placée sous le régime de la taxe sur la valeur ajoutée sur la marge, la cour, qui a suffisamment motivé son arrêt, ne l’a pas entaché d’erreur de droit. »
Rappels
Lorsque le vendeur d’un terrain à bâtir (au sens de la TVA) est un assujetti à la TVA et qu’il agit en tant que tel, la vente est imposable de plein droit à la TVA :
- sur le prix total si l’achat a ouvert droit à déduction,
- sur la marge si l’achat n’a pas ouvert droit à déduction ET sous réserve que le bien vendu soit identique au bien acquis sur un plan juridique.
L’administration impose en effet une condition d’identité « juridique » entre le bien cédé et le bien acquis :
- Si le bien cédé est un terrain à bâtir, il doit avoir été acquis comme « terrain n’ayant pas le caractère d’immeuble bâti », (opération imposable de plein droit),
- Si le bien cédé est un immeuble achevé depuis plus de 5 ans, il doit avoir été acquis en l’état d’immeuble déjà bâti (opération imposable sur option).
Il était également exigé par l’administration une condition d’identité « physique » (notamment l’absence de modification des superficies), jusqu’à ce qu’elle soit déjugée par diverses réponses ministérielles (RM Vogel 17 mai 2018 ; RM Mignola 12 juin 2018 ; RM Falorni 24 septembre 2019).
Dans un arrêt du 27 mars 2020 n° 428234 « Promialp », le Conseil d’Etat a confirmé la doctrine administrative exigeant une identité juridique :
« … les règles de calcul dérogatoires de la taxe sur la valeur ajoutée … s’appliquent aux opérations de cession de terrains à bâtir qui ont été acquis en vue de leur revente et ne s’appliquent donc pas à une cession de terrains à bâtir qui, lors de leur acquisition, avaient le caractère d’un terrain bâti, quand le bâtiment qui y était édifié a fait l’objet d’une démolition de la part de l’acheteur-revendeur. »
Par un arrêt n°435464 du 16 juillet 2020, le Conseil d’Etat constate que sa propre jurisprudence « Promialp », en ce qu’elle exige une identité juridique du bien vendu par rapport au bien acquis, ne fait que tirer les conséquences de l’article 268 du CGI.
L’arrêt « ICADE PROMOTION » n°C-299/20 rendu le 30 septembre 2021 par la CJUE confirme, entre autres points, que l’application du régime de la TVA sur la marge nécessite que le bien vendu soit identique juridiquement au bien acquis.
Voir sur ce sujet nos autres articles :
https://www.resodinfo.fr/tva-sur-marge-suite-du-feuilleton/
https://www.resodinfo.fr/tva-sur-marge-le-conseil-detat-tranche/
https://www.resodinfo.fr/tva-sur-marge-un-feuilleton-qui-nen-finit-pas/
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Décryptage
Quand le bien acquis consiste en une propriété bâtie et que des terrains à bâtir sont détachés pour être revendus, dans quels cas peut-il y avoir « identité juridique » permettant l’application de la TVA sur la marge ?
L’administration l’a admis :
– lorsque la division parcellaire est antérieure à l’acte d’acquisition initial ou qu’un document d’arpentage a été établi pour les besoins de la cession, permettant d’identifier les différentes parcelles dans l’acte (RM de La Raudière n° 94061, JOAN du 30 août 2016 ; RM Carré n° 91143, JOAN du 30 août 2016) ;
– lorsque la division parcellaire est antérieure à l’acte d’acquisition initial, qu’un document d’arpentage a été établi pour les besoins de la cession permettant d’identifier les différentes parcelles dans l’acte ou qu’un permis d’aménager faisant apparaître de manière précise les divisions envisagées a été obtenu préalablement à la cession (RM Bussereau n° 96679 JOAN du 20 septembre 2016 ; RM Savary n° 94538 JOAN du 20 septembre 2016).
En l’espèce, la simple déclaration préalable de division n’est pas admise : lors de leur achat par la société, les terrains n’avaient pas le caractère de terrains à bâtir alors même qu’ils avaient fait l’objet d’une déclaration préalable antérieure de division, les documents d’arpentage procédant à la division effective des parcelles étant postérieurs à l’acquisition.
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