Un marchand de biens revendique l’application de la TVA sur la marge, son acquisition n’ayant pas ouvert droit à déduction de la TVA. Le Conseil d’Etat revient sur la notion.
La décision
La société D, exerçant l’activité de marchand de biens, acquiert divers biens immobiliers puis procède à la revente de huit terrains à bâtir à différents acquéreurs.
L’administration remet en cause l’application de la TVA selon le régime de la marge, considérant que la TVA était due sur le prix total.
Les juges du fond retiennent une décharge partielle du rappel de TVA.
Le Conseil d’Etat – CE, 18 mars 2023, n° 468094, Inédit au recueil Lebon – donne raison à l’administration :
« 4. Il résulte de ce qui a été dit au point 3 qu’en jugeant que les cessions de biens immobiliers à Fraisses le 9 janvier 2015 et à Unieux le 23 juillet 2015 pouvaient être soumises au régime de taxation sur la marge, alors qu’elle avait par ailleurs relevé, au point 9 de son arrêt, que l’acquisition des terrains en litige, qui avait été effectuée auprès de vendeurs particuliers n’ayant pas la qualité d’assujettis, n’avait pas été soumise à la taxe sur la valeur ajoutée, sans qu’il soit justifié que le prix d’acquisition aurait incorporé un montant de taxe acquittée en amont par les vendeurs initiaux, la cour a méconnu le champ d’application des dispositions de l’article 268 du code général des impôts. Par suite, et sans qu’il soit besoin de se prononcer sur les moyens de son pourvoi, le ministre de l’économie, des finances et de la souveraineté industrielle et numérique est fondé à demander l’annulation des articles 1er, 3 et 4 de l’arrêt qu’il attaque. »
Pour consulter la décision :
Décryptage
Les livraisons de terrains à bâtir sont imposables de plein droit à la TVA dès lors qu’elles sont réalisées par un assujetti agissant en tant que tel.
Ici, ni la qualification de terrain à bâtir, ni celle d’assujetti agissant en tant que tel, n’étaient remises en cause.
La question posée était celle de la base d’imposition : la TVA était-elle due sur le prix total ou sur la marge ?
Le principe est la taxation sur le prix total, l’exception la taxation sur la marge.
Il résulte de l’article 268 du CGI que la livraison d’un terrain à bâtir relève de la taxation sur la marge si l’acquisition par le cédant n’a pas ouvert droit à déduction de la taxe sur la valeur ajoutée.
Il est en outre exigé une condition « d’identité juridique » entre le bien cédé et le bien acquis. Si le bien cédé est un terrain à bâtir, il doit avoir été acquis comme « terrain n’ayant pas le caractère d’immeuble bâti ». Cette exigence administrative a été confirmé par le Conseil d’Etat, notamment dans son arrêt « PROMIALP » du 27 mars 2020 (n° 428234).
Pour plus de précisions sur cette décision, vous pouvez consulter :
En l’espèce, la condition d’identité juridique n’étant pas remise en cause, restait à remplir la condition « d’acquisition n’ayant pas ouvert droit à déduction de la taxe sur la valeur ajoutée ».
Cette question a fait l’objet, dans le cadre de l’affaire « ICADE PROMOTION », d’une question préjudicielle à la CJUE :
L’article 392 de la directive TVA doit-il être interprété comme réservant l’application du régime de taxation sur la marge à des opérations de livraison d’immeubles dont l’acquisition a été soumise à la TVA sans que l’assujetti qui les revend ait eu le droit d’opérer la déduction de cette taxe ? Ou permet-il d’appliquer ce régime à des opérations de livraison d’immeubles dont l’acquisition n’a pas été soumise à cette taxe, soit parce que cette acquisition ne relève pas du champ d’application de celle-ci, soit parce que, tout en relevant de son champ, elle s’en trouve exonérée ?
Dans une décision C-299/20 du 30 septembre 2021, la CJUE a répondu en substance :
Le régime de la TVA sur la marge s’applique à la cession d’un terrain à bâtir (acquis en tant que terrain à bâtir/condition d’identité juridique) par un vendeur assujetti agissant en tant que tel, si :
- Soit l’acquisition a été soumise à la TVA, sans que l’assujetti qui les revend ait eu le droit de déduire cette taxe,
- Soit l’acquisition n’a pas été soumise à la TVA (hors champs d’application, par exemple vente par un non assujetti) alors que le prix auquel l’assujetti-revendeur a acquis ces biens incorpore un montant de TVA qui a été acquitté en amont par le vendeur initial.
Le Conseil d’Etat a pris acte de cette décision dans son arrêt « ICADE PROMOTION » du 12 mai 2022 (n° 416727).
Les conclusions du rapporteur public permettent d’éclairer la décision :
« Le régime de taxation sur la marge vise à compenser une rémanence de TVA non déductible pour les biens susceptibles de faire l’objet de plusieurs consommations finales interrompant la chaîne de déduction. La cour en déduit qu’il y a lieu, afin de garantir le principe de neutralité fiscale, d’appliquer une base d’imposition réduite dans la seule hypothèse où il existe un risque de double imposition, c’est-à-dire lorsqu’un bien, qui a déjà supporté la TVA à titre définitif (tel qu’un immeuble d’habitation en tant que bien «consommé» du fait de sa première occupation), est soumis à nouveau à cette taxe lors de sa «réintroduction» ultérieure dans le circuit économique en vue de faire l’objet d’une deuxième consommation. »
Dans le présent arrêt, le Conseil d’Etat énonce que le régime de taxation sur la marge à des opérations de livraison de terrains à bâtir s’applique :
– lorsque leur acquisition a été soumise à la taxe sur la valeur ajoutée, sans que l’assujetti qui les revend ait eu le droit de déduire cette taxe,
– lorsque leur acquisition n’a pas été soumise à la taxe sur la valeur ajoutée alors que le prix auquel l’assujetti-revendeur a acquis ces biens incorpore un montant de taxe sur la valeur ajoutée qui a été acquitté en amont par le vendeur initial.
Il précise ensuite qu’en dehors de ces hypothèses, le régime de taxation sur la marge ne s’applique pas à des opérations de livraison de terrains à bâtir dont l’acquisition initiale n’a pas été soumise à la taxe sur la valeur ajoutée, soit qu’elle se trouve en dehors de son champ d’application, soit qu’elle s’en trouve exonérée.
Reste une interrogation, à défaut de connaître les détails de l’affaire : le redevable était-il en mesure d’invoquer la doctrine administrative ?
Pour rappel, il résulte de la réponse ministérielle GRAU du 1er février 2022 (RM n°42486 JOAN 1er fév 2022) que :
- Tant que la mise à jour du BOFIP (devant intervenir après que le juge national aura tranché le litige et en concertation avec les acteurs du secteur immobilier) n’est pas intervenue, la doctrine administrative, même en contradiction avec la position de la CJUE, peut lui être opposée.
- Lors de la publication de la mise à jour du BOFIP, les opérations en cours ne seront pas concernées par la nouvelle doctrine (sous réserve de l’antériorité de l’acquisition ou au moins de la signature d’un compromis).
https://questions.assemblee-nationale.fr/q15/15-42486QE.htm
Laquelle mise à jour du BOFIP n’a pas encore eu lieu.