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ABONDEMENT TARDIF SUR ASSURANCE-VIE : QUELS RISQUES CIVILS ET FISCAUX ?

Une personne verse 1,5M€ sur un vieux contrat, quelques mois avant sa mort. A quelles conditions l’administration peut-elle le requalifier en donation indirecte et exiger la pénalité de 40% pour manquement délibéré ? La CAA de VERSAILLES enrichit la jurisprudence.

La problématique

Madame Y, âgée alors de 76 ans, souscrit un contrat d’assurance-vie en 1989 et y verse une prime unique de 6.000 Francs.

Par avenant de novembre 2014, elle confirme que les bénéficiaires sont Monsieur et Madame X, à concurrence de moitié chacun, choix déjà réalisé en 2007, au cours de sa 94ème année.

Elle abonde son contrat en décembre 2014 et janvier 2015 à hauteur de deux fois 750.000 €.

Puis elle décède en 2016, permettant au couple bénéficiaire de percevoir plus de 1,2M€ nets de fiscalité, le contrat échappant à l’article 757 du CGI et relevant simplement de l’article 990-I.

L’administration réagit : le bénéfice du contrat constitue une donation indirecte et relève donc des droits de succession au taux de 60%, assortis des intérêts de retard et de la majoration de 40 % prévue par l’article 1729 en cas de manquement délibéré.

Les deux bénéficiaires contestent la requalification en donation indirecte. Nous ne reprenons ici que certains de leurs arguments :

  • Une donation suppose un dessaisissement immédiat et irrévocable du donateur. Ce ne peut être le cas d’un contrat d’assurance-vie non accepté et pour lequel le souscripteur n’a pas renoncé expressément à sa faculté de rachat, dans la mesure où il conserve la libre disposition des capitaux ainsi que la possibilité de modifier le bénéficiaire à tout moment. Ils soutiennent également que l’absence d’aléa doit s’apprécier au jour de la souscription du contrat ou de la clause de changement de bénéficiaires et non à la date de versement des primes, comme l’ont fait les premiers juges.
  • La qualification de donation suppose de justifier d’une acceptation par les donataires dans l’acte de donation. Or, leur acceptation n’est intervenue qu’après le décès.
  • Le montant versé ne représentait que 37% du patrimoine de Mme Y.
  • Les fonds versés provenaient de la régularisation d’un compte en SUISSE, et permettaient d’éviter de rester investis en actions, placement moins sécurisant compte tenu de son âge, que le fonds €uros de son assurance.

Ils contestent également l’application de la pénalité de 40%.

La décision

La CAA de VERSAILLES, dans une décision n°20/03376 du 12 octobre 2021, se prononce :

Concernant la requalification en donation indirecte

L’existence d’une donation indirecte implique que les conditions posées par l’article 894 du code civil soient réunies : intention libérale, volonté de se dépouiller immédiatement et irrévocablement, et acceptation du bénéficiaire.

Toutefois, s’agissant de cette dernière condition, l’acceptation d’un contrat d’assurance-vie peut être tacite pourvu qu’elle relève d’actes positifs exprimant une intention dépourvue d’ambiguïté (Civ 1re, 15 décembre 1998, n° 96-20.246) et si le bénéficiaire doit en principe manifester son intention avant le décès du donateur, en ce qui concerne le cas particulier de l’assurance-vie, l’acceptation peut intervenir après le décès du souscripteur, ainsi qu’en dispose l’article L 132-12 du code des assurances.

En ce qui concerne l’intention libérale, la proximité du versement avec le décès sur un contrat qui n’avait jamais été abondé depuis 25 ans ne laisse pas de place au doute.  

Au surplus, l’utilité du versement des primes sur le contrat n’est pas démontrée, en raison de son âge et de sa faible rentabilité de l’ordre de 2,5% comparée à celle procurée par son portefeuille de titres en Suisse, qu’elle a réalisé pour parvenir à l’opération querellée.

Ces circonstances ont privé de tout aléa le contrat d’assurance et ont ainsi rendu illusoire ou purement théorique toute faculté de rachat par la souscriptrice, qui a bien eu la volonté, au regard du sort particulier et favorable qu’elle a réservé à M. et Mme X par rapport à d’autres personnes, de transmettre hors succession un actif taxable par le biais de l’assurance-vie. La souscriptrice a donc bien entendu se dépouiller irrévocablement des primes versées au profit des bénéficiaires désignés.

Concernant la pénalité de 40%

La CAA considère que l’intention délibérée de M. et Mme X de se soustraire aux droits de mutation à titre gratuit, n’étant pas démontrée, la pénalité n’est pas due.

Ce qu’il faut en retenir

Oui, le bénéfice d’un contrat peut constituer une donation indirecte. Les arguments surabondants développés ici ne sont que gesticulations.

Il suffit pour cela de se reporter à nos commentaires : https://www.resodinfo.fr/assurance-vie-donation-indirecte-ou-pas/

Ca n’est pas parce qu’un souscripteur conserve juridiquement la faculté de rachat que la preuve d’une donation indirecte ne peut pas être rapportée.

Ainsi, dans l’hypothèse d’un souscripteur se sachant atteint d’un cancer et ayant souscrit des contrats d’assurance vie dont les primes excédaient 80% de son patrimoine et dont il a désigné le bénéficiaire 3 jours avant son décès, la Cour de cassation (Cass. ch. mixte 21 déc 2007 n°06-12769) a validé la position de la Cour d’appel qui avait requalifié les contrats en donation indirecte : « en l’absence d’aléa dans les dispositions prises, le caractère illusoire de la faculté de rachat et l’existence chez l’intéressé d’une volonté actuelle et irrévocable de se dépouiller »

La requalification d’un contrat d’assurance-vie en donation indirecte reste une appréciation de fait, au cas par cas, dont l’élément central repose sur l’absence ou pas d’aléa.

La requalification d’un contrat d’assurance-vie en donation indirecte n’entrave pas les mécanismes propres au contrat. La Compagnie reste débitrice du capital décès dû au bénéficiaire qui lui a été indiqué.

Sur un plan civil, si le bénéficiaire est un héritier du souscripteur, il sera tenu au rapport successoral dû à ses co-héritiers. S’il n’est pas héritier lui-même, il ne sera tenu qu’à une indemnité de réduction due à la succession pour reconstituer la réserve héréditaire en tant que de besoin.

Sur un plan fiscal, la perte d’aléa du contrat entraîne mécaniquement perte du traitement fiscal spécifique à l’assurance-vie en faveur d’un assujettissement aux droits de succession, assortis de la pénalité de 40% en cas de manquement délibéré.

Sur un plan social, même raisonnement : la perte d’aléa du contrat entraîne mécaniquement une prise en compte dans la succession des capitaux décès pour l’appréciation des droits éventuels à récupération des aides sociales.

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