Durée maximale de 3 ans : comment se fait le décompte en cas de baux dérogatoires antérieurs et postérieurs à l’entrée en vigueur de la Loi « Pinel » ?
La Cour de cassation aligne sa jurisprudence sur la Loi du 18 juin 2014 en matière de baux dérogatoires successifs.
Décryptage.
La décision
Le 1er juin 2013, la SCI LA CADENE, propriétaire d’un local commercial, consent au profit de M U, exerçant sous l’enseigne « Caveau des vins », un bail dérogatoire au statut des baux commerciaux d’une durée de 24 mois, comme elle le fait depuis plusieurs années déjà.
Le 1er juin 2015, elle consent au même locataire un nouveau bail d’une durée de 12 mois.
Le 31 mai 2016, terme de ce nouveau bail dérogatoire, la SCI informe le locataire de sa volonté de ne pas consentir un nouveau bail. M U, qui avait jusqu’à présent renoncé à se prévaloir du statut des baux commerciaux pour pouvoir exploiter son activité, change alors de position en invoquant l’article L 145-5 C. com. :
« Les parties peuvent, lors de l’entrée dans les lieux du preneur, déroger aux dispositions du présent chapitre à la condition que la durée totale du bail ou des baux successifs ne soit pas supérieure à trois ans. A l’expiration de cette durée, les parties ne peuvent plus conclure un nouveau bail dérogeant aux dispositions du présent chapitre pour exploiter le même fonds dans les mêmes locaux.
Si, à l’expiration de cette durée, et au plus tard à l’issue d’un délai d’un mois à compter de l’échéance le preneur reste et est laissé en possession, il s’opère un nouveau bail dont l’effet est réglé par les dispositions du présent chapitre.
Il en est de même, à l’expiration de cette durée, en cas de renouvellement exprès du bail ou de conclusion, entre les mêmes parties, d’un nouveau bail pour le même local.
… »
La SCI l’assigne en expulsion.
La Cour d’appel de Bordeaux déboute le locataire : le preneur avait conclu un bail de 2 ans le 1er juin 2013 puis un bail d’un an le 1er juin 2015. Au 1er juin 2013, les parties pouvaient conclure un bail dérogatoire de 2 ans sans que l’antériorité du bail précédent n’ait à être prise en compte. Le bail conclu le 1er juin 2015, d’une durée d’1 an, avait pour effet de porter la durée cumulée des baux pouvant être retenue à 36 mois, soit la durée maximale désormais autorisée par la loi du 18 juin 2014. La durée totale n’excédait donc pas 3 ans. M U avait valablement renoncé à se prévaloir du statut des baux commerciaux.
La réponse de la Cour de cassation (Cass. 3è Civ. 22 octobre 2020 n°19-20.443 FS-PBI) :
Le preneur acquiert son droit à la propriété commerciale à l’issue d’un bail dérogatoire, lorsqu’il justifie d’une entrée dans les lieux depuis au moins 3 ans. Le 1er juin 2016, le locataire était en mesure de justifier qu’il était entré dans les lieux depuis plus de trois ans. Il n’était donc pas occupant sans droit ni titre.
Depuis l’entrée en vigueur de la Loi « Pinel », les parties ne peuvent plus conclure un nouveau bail dérogatoire pour exploiter le même fonds dans les mêmes locaux à l’expiration d’une durée de trois ans.
Les baux dérogatoires conclus à compter du 1er septembre 2014 sont soumis à ces nouvelles dispositions et les situations antérieures sont à prendre en compte.
Sa portée
Le bail de courte durée, généralement appelé « bail dérogatoire » a été conçu comme un « bail à l’essai ». Il était initialement interdit de renouveler un bail dérogatoire, sous réserve d’une renonciation du preneur à la propriété commerciale (Cass. Civ.3 n°72-11.005 du 10 juillet 1973 ; Cass. Civ. 3 n°10-16.456 du 5 avril 2011), fréquente en pratique ce qui expliquait la possibilité de cumul des baux dérogatoires. La loi du 4 août 2008 a autorisé expressément la conclusion de baux successifs, à la condition que la durée totale ne dépasse pas 2 ans. La loi du 18 juin 2014 a porté la durée totale à 3 ans mais avec la précision qu’à l’expiration de cette durée, les parties ne peuvent plus conclure un nouveau bail dérogeant aux dispositions du présent chapitre pour exploiter le même fonds dans les mêmes locaux.
Désormais, même si les parties sont d’accord et que le preneur accepte de renoncer au bénéfice du statut des baux commerciaux, elles ne peuvent plus conclure de bail dérogatoire si le preneur exploite déjà le fonds dans les locaux depuis 3 ans.
Si, à l’expiration de cette durée de 3 ans, et au plus tard à l’issue d’un délai d’un mois à compter de l’échéance le preneur reste et est laissé en possession, il s’opère un nouveau bail soumis au statut des baux commerciaux.
La Cour de cassation considère que la durée totale de 3 ans court dès la prise d’effet du premier bail dérogatoire, même si le preneur a renoncé, à l’issue de chaque bail dérogatoire, à l’application du statut des baux commerciaux, comme cela était possible pour les baux conclus avant le 1er septembre 2014, date d’entrée en vigueur du nouvel article L. 145-5 du code de commerce.
A noter également que, quelle que soit la durée du bail dérogatoire ou du maintien dans les lieux, si le preneur reste et est laissé en possession au-delà du terme contractuel, il s’opère un nouveau bail soumis au statut des baux commerciaux, et ce même si le bail dérogatoire était d’une durée inférieure à 3 ans (Cass., 3e civ., 8 Juin 2017 – n° 16-24045 ; Cass., 3e civ., 26 Mars 2020 – n° 18-16113).