A quelle condition une personne sous curatelle peut-elle modifier seule le bénéficiaire de son contrat d’assurance-vie ?
Décision
En 1987, une personne souscrit un contrat d’assurance sur la vie, en désignant comme bénéficiaires son conjoint à la date du décès, à défaut ses enfants et à défaut ses héritiers.
En 2010, elle est placée sous curatelle renforcée.
En 2015, un jugement transforme la mesure en tutelle, peu de temps avant le décès de la personne protégée.
Son neveu invoque la modification, à son profit, de la clause bénéficiaire d’un contrat d’assurance vie, par un acte sous seing privé en date du 17 mars 2011, période à laquelle la défunte était sous curatelle.
Ce document n’étant pas signé par la curatrice mais par la personne protégée seule, il est débouté en 1ère instance.
En appel, il assigne subsidiairement la curatrice en indemnisation de son préjudice. Débouté par la Cour d’appel (CA BESANCON, 15 septembre 2020, n° 18/01955), il se pourvoit en cassation invoquant que la curatrice aurait dû saisir le juge pour qu’il tranche le différend entre la personne protégée et la curatrice sur la désignation du bénéficiaire.
La Cour de cassation rejette le pourvoi (Cass. civ. 1, 23 mars 2022, n° 20-22.136) :
« 8. Aux termes de l’article 469 du code civil, le curateur ne peut se substituer à la personne en curatelle pour agir en son nom. Toutefois, le curateur peut, s’il constate que la personne en curatelle compromet gravement ses intérêts, saisir le juge pour être autorisé à accomplir seul un acte déterminé ou provoquer l’ouverture de la tutelle. Si le curateur refuse son assistance à un acte pour lequel son concours est requis, la personne en curatelle peut demander au juge l’autorisation de l’accomplir seul.
9. Ayant retenu que la preuve n’était pas rapportée qu'[W] [R] avait sollicité sa curatrice en vue de l’assister dans la modification de la clause bénéficiaire de son contrat d’assurance sur la vie et qu’il ne pouvait, dès lors, être reproché à celle-ci de ne pas avoir informé la majeure protégée d’un refus d’assistance, la cour d’appel a pu en déduire que la curatrice n’avait pas commis de faute en transmettant au juge des tutelles, pour information, la lettre du 17 mars 2011 par laquelle [W] [R] indiquait à celui-ci souhaiter substituer son neveu aux bénéficiaires initiaux du contrat. »
Ce qu’il faut retenir
Au-delà de la question de la responsabilité d’un curateur, cet arrêt est l’occasion de rappeler une particularité du régime de la curatelle.
Aux termes de l’article 470, la personne sous curatelle peut librement tester, sous réserve des dispositions de l’article 901 (savoir : « Pour faire une libéralité, il faut être sain d’esprit. La libéralité est nulle lorsque le consentement a été vicié par l’erreur, le dol ou la violence. »).
Il résulte de l’article L132-4-1 du Code des assurances, qu’une personne sous curatelle ne peut modifier le bénéficiaire d’un contrat d’assurance vie qu’avec l’assistance de son curateur ; cette assistance se manifestant par l’apposition de sa signature à côté de celle de la personne protégée (article 467 du Code civil).
Le Code des assurances, dans son article L. 132-8, prévoit que la désignation ou la substitution de bénéficiaire peut être réalisée :
– par voie d’avenant au contrat,
– en remplissant les formalités édictées par l’article 1690 du code civil,
– par voie testamentaire.
La liberté de tester de la personne sous curatelle permet-elle de s’affranchir de l’assistance du curateur si la désignation bénéficiaire est faite par voie testamentaire ?
Non, selon la Cour de cassation (Cass. 2e civ., 8 juin 2017, n° 15-12.544) :
« Mais attendu qu’il ressort de l’article L. 132-4-1, alinéa 1, du code des assurances qui déroge à l’article 470, alinéa 1, du code civil, que si une personne en curatelle peut librement tester sous réserve des dispositions de l’article 901 du code civil, ce n’est qu’avec l’assistance de son curateur qu’elle peut procéder à la substitution du bénéficiaire d’un contrat d’assurance sur la vie pour lequel elle avait stipulé ; qu’ayant constaté l’absence de son curateur au moment où Edouard X… avait exprimé, dans son testament, sa volonté de procéder à la substitution du bénéficiaire du contrat d’assurance sur la vie « GMO », et que l’accord du curateur n’avait pas été adressé à l’assureur avant le décès du stipulant, c’est à bon droit que la cour d’appel en a déduit que son testament du 13 février 2009 se trouvait privé d’efficacité quant à cette substitution ; »
Attention également si le bénéficiaire est le curateur : il est réputé être en opposition d’intérêts avec la personne protégée. Il y aura alors lieu de recourir au subrogé curateur ou de faire nommer un curateur ad hoc.