DROITS D’ENREGISTREMENT : LA SOLIDARITE DES REDEVABLES DISPENSE-T-ELLE L’ADMINISTRATION DE NOTIFIER UNE RECTIFICATION A CHACUN ?

C’était le cas jusqu’à présent. La Cour de cassation opère un revirement de sa jurisprudence dans deux affaires. Décryptage.

Première affaire

Une personne décède, laissant pour lui succéder ses deux enfants.

La déclaration de succession est déposée en mai 2011.

En janvier 2013, l’administration notifie à l’un des enfants une proposition de rectification.

En décembre 2013, l’administration émet un avis de mise en recouvrement (AMR) du complément de droits de succession.

Les héritiers reprochent à l’arrêt – CA SAINT DENIS 18 décembre 2020 – de refuser de prononcer la nullité de la procédure pour défaut de notification au second héritier, alors que si l’administration fiscale peut choisir de notifier les redressements à l’un seulement des redevables solidaires de la dette fiscale, la procédure suivie ensuite doit être contradictoire, la loyauté des débats l’obligeant à notifier les actes de la procédure à tous ces redevables au cours de la phase précontentieuse comme de la phase contentieuse, afin que chacun soit en mesure de les contester ou de faire valoir ses observations.

La Cour de cassation – Cour de cassation, civile, Chambre commerciale, 30 août 2023, 21-12.307, Publié au bulletin – leur donne raison :

« 10. La Cour de cassation juge, depuis 2008, de manière constante, que, si l’administration fiscale peut choisir d’adresser la proposition de rectification à l’un seulement des redevables solidaires de la dette fiscale, la procédure ensuite suivie doit être contradictoire et la loyauté des débats l’oblige à notifier les actes de celle-ci à tous les redevables (Com., 18 novembre 2008, pourvoi n° 07-19.762, Bull. 2008, IV, n° 195 ; Com., 12 juin 2012, pourvoi n° 11-30.396, Bull. 2012, IV, n° 119), à moins que ces derniers ne se soient donné mandat exprès de représentation (Com., 7 avril 2010, pourvoi n° 09-14.516) et pour autant qu’elle ait pu en découvrir l’identité ou que celle-ci lui ait été révélée (Com., 6 novembre 2019, pourvoi n° 17-26.985).

11. Cette jurisprudence, initialement applicable à la procédure de rectification visée aux articles L. 54 B à L. 64 C du livre des procédures fiscales a été étendue à la phase contentieuse préalable auprès de l’administration, visée à l’article L. 198 A du même livre (Com., 12 décembre 2018, pourvoi n° 17-11.861, Bull.) et à la procédure de recouvrement visée aux articles L. 252 à L. 283 F de ce livre (Com. 25 mars 2014, pourvoi n° 12-27.612, Bull. 2014, IV, n° 60).

12. Prenant en compte le caractère contradictoire de la procédure fiscale et l’obligation de loyauté qu’il incombe à l’administration de respecter à l’égard de chaque contribuable, cette jurisprudence aménage le régime de la solidarité fiscale. Elle contribue, par ailleurs, à favoriser la sécurité juridique, sans porter atteinte à la garantie de recouvrement de la créance de l’Etat, car elle permet, d’une part, à l’administration d’agir en paiement de l’intégralité de sa créance contre n’importe lequel des débiteurs solidaires, d’autre part, à chaque codébiteur, solidaire de la dette fiscale, de participer à la procédure administrative et de s’y défendre.

13. Ainsi, l’obligation de notification des actes par l’administration fiscale à tous les redevables solidaires, tout au long de la procédure suivant la notification de la proposition de rectification, les met chacun en mesure d’opposer à celle-ci les exceptions personnelles dont ils sont susceptibles de se prévaloir et les exceptions communes à tous les codébiteurs, assurant ainsi une protection effective des droits de la défense.

14. En outre, la Cour de cassation juge que l’irrégularité tirée du non-respect de cette exigence peut être soulevée par l’un quelconque des débiteurs solidaires, y compris par celui qui a été effectivement destinataire des actes, sans qu’il lui soit besoin d’établir un grief (Com., 26 février 2013, pourvoi n° 12-13.877, Bull. 2013, IV, n° 30).



18. S’agissant d’une irrégularité concernant la phase contentieuse préalable, elle a approuvé les juges du fond de retenir que, faute de notification à tous les codébiteurs solidaires de la décision de rejet de la réclamation formée par l’un d’eux, la procédure ne pouvait, en l’état, donner lieu à recouvrement (Com., 12 décembre 2018, pourvoi n° 17-11.861, Bull.).

19. Lorsque l’irrégularité est commise au cours de la procédure de recouvrement, elle juge que les actes en cause sont inopposables à l’intéressé, faute de notification personnelle régulière (Com. 25 mars 2014, pourvoi n° 12-27.612, Bull. 2014, IV, n° 60).

20. Soutenant que la jurisprudence de la Cour de cassation aboutit à sanctionner de façon excessive, par la décharge totale de la dette fiscale à l’égard de tous les codébiteurs solidaires, le fait que l’un d’entre eux n’ait pas reçu une notification valable de l’administration, l’avocat général est d’avis que le défaut de notification à l’égard de l’un des redevables solidaires de la dette fiscale constitue une exception personnelle, ayant pour effet, non pas d’entraîner la décharge totale de l’imposition à l’égard de tous, mais seulement de libérer le codébiteur solidaire, qui n’a pas reçu notification de sa part dans la dette, les autres codébiteurs solidaires profitant de cette libération à concurrence de cette part.

21. Or, une telle solution porterait atteinte à l’unicité de la dette fiscale, au principe selon lequel l’administration ne peut renoncer à recouvrer l’impôt et à l’exigence du respect du caractère contradictoire de la procédure administrative s’imposant à l’administration à l’égard de chaque contribuable.

22. Toutefois, il apparaît nécessaire de préciser la portée de l’irrégularité résultant du défaut de notification d’un acte de la procédure administrative à tous les redevables solidaires en jugeant désormais qu’une telle irrégularité n’atteint la procédure, à quelque stade que celle-ci se trouve, qu’après l’acte qui n’a pas fait l’objet d’une notification régulière. L’administration fiscale dispose ainsi, tant que la prescription n’est pas acquise, de la faculté de régulariser cette procédure en procédant à une nouvelle notification de l’acte en cause à l’ensemble des redevables solidaires.

23. Il s’ensuit que, lorsque l’irrégularité intervient au cours de la procédure de rectification, le défaut de notification d’un acte à tous les redevables solidaires entraîne l’irrégularité des actes subséquents, l’annulation de l’AMR et la décharge des droits et pénalités.

24. En revanche, lorsque l’irrégularité intervient au cours de la phase contentieuse préalable, celle-ci, postérieure à l’AMR, ne saurait entraîner la décharge des droits et pénalités.

… »

Pour consulter la décision :

https://www.legifrance.gouv.fr/juri/id/JURITEXT000048042737?page=1&pageSize=10&query=21-12307&searchField=ALL&searchType=ALL&sortValue=DATE_DESC&tab_selection=juri&typePagination=DEFAULT

Deuxième affaire

En décembre 2011, deux époux donnent à leurs deux enfants l’usufruit d’actions de la société M holding.

En septembre 2014, l’administration fiscale adresse aux deux parents et à un des enfants des propositions de rectification.

L’AMR est notifié aux mêmes personnes en avril 2015.

Les débats et la décision – Cour de cassation, civile, Chambre commerciale, 30 août 2023, 20-23.653, Publié au bulletin – sont de même nature que dans la première affaire.

Pour consulter la décision :

https://www.legifrance.gouv.fr/juri/id/JURITEXT000048042739?page=1&pageSize=10&query=20-23653&searchField=ALL&searchType=ALL&sortValue=DATE_DESC&tab_selection=juri&typePagination=DEFAULT

Décryptage

Ainsi, la Cour de cassation opère un revirement de jurisprudence :

  • L’administration peut adresser la proposition de rectification à un seul des redevables solidaires de l’impôt. Néanmoins, la procédure qui suit doit être contradictoire et la loyauté des débats l’oblige à en notifier les actes à tous les redevables, sauf mandat de représentation.
  • Il en résulte que chaque redevable solidaire pourra opposer les exceptions personnelles éventuelles ainsi que les exceptions communes à ses codébiteurs.
  • Le non-respect de cette exigence peut être soulevé par chaque codébiteur solidaire sans avoir à établir un grief.
  • L’administration peut régulariser tant que les délais d’action ne sont pas prescrits. En conséquence, lorsque l’irrégularité intervient au cours de la procédure de rectification, l’avis de mise en recouvrement est annulé, entraînant décharge des droits et pénalités. En revanche, lorsque l’irrégularité intervient au cours de la phase contentieuse préalable, celle-ci, postérieure à l’AMR, ne saurait entraîner la décharge des droits et pénalités mais remet uniquement les parties dans l’état où elles se trouvaient avant la notification irrégulière.

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