DUTREIL : HOLDING ANIMATRICE, DELAI DE PRESCRIPTION ET PREPONDERANCE

La Cour de cassation se prononce en matière de délai de prescription de l’action en reprise de l’administration et de prépondérance d’une holding animatrice.   

La décision

M. E décède en 2008, laissant pour lui succéder son épouse et ses enfants.

Le 15 décembre 2008, les héritiers font enregistrer un engagement collectif de conservation de titres de société dans les conditions de l’article 787 B du CGI, afin de bénéficier de l’exonération partielle « Dutreil ».

La déclaration de succession est déposée le 16 décembre 2008.

Soutenant que la valeur déclarée des titres de la société interposée était inférieure à leur valeur vénale, et que l’activité mixte de la société holding cible avait un caractère civil prépondérant, l’administration fiscale notifie le 20 décembre 2012 aux héritiers une proposition de rectification portant rappel de droits de succession.

La Cour d’appel de PARIS – 4 octobre 2021, n° 20/05592 – lui donne en partie raison : elle retient que l’activité éligible de la société cible n’était pas prépondérante mais elle déboute l’administration s’agissant de l’action en reprise de la valeur qui était prescrite.

Les redevables, comme l’administration, forment un pourvoi.

La Cour de cassation – Cass. com., 11 octobre 2023, n° 21-24.760, 21-24.761, 21-24.762 et 21-24.763, Inédit – le rejette :

« 13. En l’état de ces énonciations, constatations et appréciations, dont il résulte qu’il n’est pas démontré que la trésorerie de la société CIPM, dont la valeur représentait plus de 50 % de la valeur totale de ses actifs et qui ne pouvait être présumée affectée à la participation active de cette société à la conduite de la politique de son groupe et au contrôle de ses filiales exerçant une activité commerciale, industrielle, artisanale, agricole ou libérale, faisait l’objet d’une telle affectation, la cour d’appel, qui ne s’est pas fondée sur les seules données comptables au jour du fait générateur de l’impôt mais a mis en oeuvre la méthode du faisceau d’indices déterminés d’après la nature de l’activité de la société et les conditions de son exercice, et qui n’était pas tenue de procéder à la recherche, inopérante, invoquée à la sixième branche, dès lors que l’emploi immédiat d’une partie de la trésorerie issue de la cession de la société GSE n’était pas de nature à démontrer que le reste de la trésorerie issue de cette cession, non réinvesti, se rattachait à son activité d’animation de son groupe et de contrôle de ses filiales, a pu retenir que la société CIPM n’avait pas pour activité principale, éligible au régime de faveur institué par l’article 787 B du code général des impôts, la participation active à la conduite de la politique de son groupe et au contrôle de ses filiales exerçant une activité commerciale, industrielle, artisanale, agricole ou libérale.

(…)

17. S’agissant du redressement fondé sur la remise en cause de la valeur déclarée des titres de la société FCR, après avoir exactement énoncé que l’article 2233 du code civil, selon lequel la prescription ne court pas à l’égard d’une créance à terme, ne s’applique pas quand la déclaration de succession a été déposée, en ce que celle-ci rend exigibles les droits y afférents et que la créance de l’administration fiscale n’est alors plus affectée d’un terme, la cour d’appel a exactement retenu, par motifs propres et adoptés, que la proposition de rectification, datée du 20 décembre 2012, avait été notifiée après l’acquisition de la prescription de trois ans, intervenue le 31 décembre 2011, le point de départ de ce délai s’établissant nécessairement, en vertu du principe général énoncé à l’article L. 180 du livre des procédures fiscales, au jour de l’enregistrement de la déclaration de succession, soit le 16 décembre 2008. »

Pour consulter les décisions :

https://www.legifrance.gouv.fr/juri/id/JURITEXT000048211019?dateDecision=&init=true&page=1&query=787+B&searchField=ALL&tab_selection=juri

https://www.legifrance.gouv.fr/juri/id/JURITEXT000048211020?dateDecision=&init=true&page=1&query=787+B&searchField=ALL&tab_selection=juri

https://www.legifrance.gouv.fr/juri/id/JURITEXT000048211021?dateDecision=&init=true&page=1&query=787+B&searchField=ALL&tab_selection=juri

https://www.legifrance.gouv.fr/juri/id/JURITEXT000048211022?dateDecision=&init=true&page=1&query=787+B&searchField=ALL&tab_selection=juri

Décryptage

Concernant la prescription de l’action en reprise de l’administration

S’agissant du redressement relatif à la remise en cause du bénéfice de l’exonération partielle, la Cour d’appel avait retenu, ce qui n’a pas été contesté, que, l’administration fiscale ayant été tenue de procéder à des investigations pour déterminer la nature commerciale ou civile de l’activité de la société cible et sa qualité d’holding animatrice, la prescription applicable était de 6 ans.

Ce point n’étant pas contesté par les pourvois, la Cour de cassation n’a pas eu à se prononcer. Attention toutefois en pratique : le fait que la société éligible soit une holding animatrice nécessiterait des investigations complémentaires qui rendrait applicable le délai de prescription de 6 ans.

S’agissant du redressement relatif à la valeur vénale des titres transmis, la prescription applicable était de 3 ans + l’année en cours. La question qui se posait était celle du point de départ de la prescription : le jour de l’échéance du délai accordé pour le paiement de l’impôt (6 mois après le décès en l’espèce le 9 janvier 2009) ou le jour du dépôt de la déclaration de succession (ici le 16 décembre 2008).

L’administration ayant engagé la procédure de rectification le 20 décembre 2012, dans la 1ère hypothèse son action était valable alors que dans la seconde, elle était prescrite.

L’administration soutenait que, malgré l’article L 180 du LPF qui vise comme point de départ l’enregistrement, le point de départ de la prescription est, en vertu de l’article 2233 du Code civil, reporté au jour de l’échéance du délai accordé pour le paiement de l’impôt, soit 6 mois après le décès (celui-ci ayant eu lieu en France).

La Cour de cassation approuve la Cour d’appel d’avoir retenu que l’article 2233 du code civil, selon lequel la prescription ne court pas à l’égard d’une créance à terme, ne s’applique pas quand la déclaration de succession a été déposée, en ce que celle-ci rend exigibles les droits y afférents.  La créance de l’administration fiscale n’étant alors plus affectée d’un terme, le point de départ du délai de prescription s’établissant nécessairement, en vertu du principe général énoncé à l’article L. 180 du LPF, au jour de l’enregistrement de la déclaration de succession.

La prescription fiscale d’une action en reprise de la valeur portée dans une déclaration de succession démarre au jour de l’enregistrement de la déclaration de succession.

Concernant la prépondérance de l’activité éligible

Aux termes de l’article 787 du CGI, les titres d’une société ayant une activité industrielle, commerciale, artisanale, agricole ou libérale transmis par décès ou entre vifs sont, à condition qu’ils aient fait l’objet d’un engagement collectif de conservation présentant certaines caractéristiques, exonérées de droits de mutation à titre gratuit, à concurrence de 75 % de leur valeur.

Bénéficient également de l’exonération, les titres de sociétés « interposées » à proportion de la valeur vénale de l’actif brut de cette société représentative de la valeur de la participation soumise à l’engagement collectif de conservation.

Dans ce cas, c’est la société « cible » détenue par la société interposée qui doit remplir la condition d’activité éligible prépondérante.

En l’espèce, ce n’est pas l’activité d’animation de la holding cible qui était remise en cause par l’administration, mais la prépondérance de cette activité éligible. 

Le caractère prépondérant de l’activité industrielle, commerciale, artisanale, agricole ou libérale s’apprécie en considération d’un faisceau d’indices déterminés d’après la nature de l’activité et les conditions de son exercice.

La Cour de cassation a récemment rappelé ce principe : il ne suffit pas de se baser sur le chiffre d’affaires et la proportion des actifs « éligibles » pour valider ou écarter la prépondérance, il faut mettre en œuvre la méthode du faisceau d’indices.

En l’espèce, les redevables estimaient que la Cour d’appel, pour écarter la prépondérance, ne s’était basée que sur des données comptables, ne mettant pas en œuvre la méthode du faisceau d’indices.

La Cour de cassation rejette cette argumentation. Elle souligne que la Cour d’appel a constaté que l’activité d’animation n’était que résiduelle et que la trésorerie n’était pas affectée à l’activité d’animation, la simple invocation de projet d’investissement n’étant pas suffisante. Elle en conclut que la Cour d’appel ne s’est pas fondée sur les seules données comptables mais a bien mis en œuvre la méthode du faisceau d’indices déterminés d’après la nature de l’activité de la société et les conditions de son exercice.

L’étude plus approfondie des éléments pris en compte en l’espèce pour apprécier la prépondérance figurera dans la prochaine mise à jour de votre ouvrage « LE PRATICIEN FACE AU DUREIL ».

Vous pouvez vous abonner dès à présent, et bénéficier ainsi des mises à jour régulières de l’ouvrage :

Partager
Facebook
Twitter
LinkedIn
E-mail
AVERTISSEMENT

Les sites resodinfo.fr et communaute.resodinfo.fr s’adressent à des professionnels ou futurs professionnels du droit, du chiffre, de la finance, de la gestion de patrimoine, …

Ils ne sont pas destinés à des internautes non professionnels ne possédant pas l’expérience, les connaissances et la compétence nécessaires pour prendre leurs propres décisions et évaluer correctement les risques encourus.

Toutes les informations disponibles sur les sites ont un caractère exclusivement indicatif.

Les contenus publiés n’ont aucun caractère exhaustif et ne font qu’exprimer un avis, inopposable en cas d’action, recours ou contentieux devant les autorités, juridictions administratives, judiciaires ou à l’égard de tout tiers. Ces contenus sont communiqués à titre purement informatif et ne peuvent en aucun cas être considérés comme constituant une consultation fiscale et/ou juridique.

Les informations disponibles sur les sites ne constituent en aucun cas une incitation à investir et ne peuvent être considérées comme étant un conseil d’investissement. En aucun cas, les informations publiées sur les sites ne représentent une offre de produits ou de services pouvant être assimilée à un appel public à l’épargne, ou à une activité de démarchage ou de sollicitation à l’achat ou à la vente d’OPCVM ou de tout autre produit de gestion, d’investissement, d’assurance…

Il est toutefois rappelé que les performances passées ne préjugent pas des performances futures.

La société Resodinfo ne saurait être tenue responsable de toute décision fondée sur une information mentionnée sur les sites resodinfo.fr et communaute.resodinfo.fr.

Aucune garantie ne peut être donnée quant à l’exactitude et l’exhaustivité des informations diffusées.

Resodinfo, et ses fournisseurs d’information et/ou de contenu à caractère commercial, ne pourront voir leurs responsabilités engagées du fait des informations fournies, y compris en cas de pertes financières directes ou indirectes causées par l’utilisation des informations fournies.