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Faut-il avoir peur du nouvel abus de droit ?

Voilà seulement quelques jours que le nouvel « abus de droit » existe et déjà beaucoup d’encre a coulé.

Peut-être est-il temps de faire le point sur ce qui apparaît comme une source d’insécurité considérable, mais qui ne fait finalement que s’inscrire dans le sens de l’histoire.

1ère question : le nouvel abus de droit est-il un abus de droit ?

L’abus de droit est une vieille notion introduite dans le CGI en 1941. Codifié à l’article L64 du LPF, il permet de rendre inopposables à l’administration deux catégories d’actes :

  • les actes fictifs,
  • et les actes qui recherchent le bénéfice d’une application littérale des textes ou décisions à l’encontre des objectifs de leurs auteurs dans le but exclusif d’éluder ou de réduire l’impôt.

Le nouvel abus de droit, tel qu’il est nommé dans la plupart des commentaires, est-il un abus de droit ?

Il est permis d’en douter. Le nouvel article L64 A du LPF permet à l’administration de rendre inopposables à son égard les actes recherchant l’application littérale des textes ou décisions à l’encontre des objectifs de leurs auteurs dans le but principal d’éluder ou de réduire l’impôt.

Malgré la proximité de l’article L64 A avec l’article L64 du LPF, qui continue d’ailleurs d’exister, et malgré la proximité des termes utilisés lesquels d’ailleurs ne mentionnent pas la notion d’abus de droit, il semble que ce nouveau dispositif s’apparente plus à une clause anti-abus qu’à un abus de droit, et ce pour deux raisons principales :

1- Les conditions d’application :

L’abus de droit permet à l’administration d’écarter les actes :

  • ayant un caractère fictif,
  • OU ayant un motif fiscal exclusif.

Les clauses anti-abus permettent d’écarter les actes :

  • ayant un motif principalement fiscal,
  • ET qui ne sont pas « authentiques » (absence de motifs commerciaux valables reflétant la réalité économique).

L’article L64 A est plus proche des clauses anti-abus : un motif fiscal principal est suffisant, sans qu’il ne soit d’ailleurs textuellement prévu d’exclusion en cas de caractère authentique du montage.

2- Les effets :

Les clauses anti-abus permettent de reconstituer la véritable base d’imposition que le contribuable aurait dû subir. Ce sont donc de simples règles d’assiette. C’est la différence principale avec l’abus de droit qui, lui, entraîne, outre la reconstitution de la base d’imposition qui se cache derrière les actes présentés, une majoration de 40 ou 80%. Le nouvel article L64 A fonctionne comme une règle d’assiette, sans majoration directe. En ce sens, il se rapproche plus d’une clause anti-abus que d’un abus de droit.

2ème question : comment ce qui a été impossible en 2014 a été possible en 2019 ?

L’article 100 de la Loi de finances pour 2014 prévoyait de substituer le but principalement fiscal au but exclusivement fiscal.

Le Conseil constitutionnel avait alors invalidé cette modification au motif qu’une “telle modification de la définition de l’acte constitutif d’un abus de droit a pour effet de conférer une importante marge d’appréciation à l’administration fiscale”, marge d’appréciation incompatible avec nos principes constitutionnels. Cette position des sages était directement liée à l’importance des majorations de droits résultant de la mise en oeuvre de l’abus de droit.

C’est la raison pour laquelle le nouvel article L64 A ne prévoit pas de majoration, mais simplement la reconstitution de l’assiette taxable.

L’objectif affiché du rapport d’information (Commission des finances 12 septembre 2018) à l’origine de cette nouveauté était clairement de ne pas prévoir de majoration pour être sûr d’être en conformité avec la position du Conseil constitutionnel. D’ailleurs, ce-dernier n’a même pas été saisi.

On notera au passage qu’à travers la commission des finances, Bercy a recherché l’application littérale d’une décision à l’encontre des objectifs de son auteur : en effet, les majorations automatiques de 40 ou 80% propres à l’article L64 ne s’appliquent pas à l’article L64 A, certes, mais l’administration pourra toujours rechercher les 80% pour manoeuvres frauduleuses ou les 40% pour manquement délibéré…

3ème question : faut-il paniquer ?

L’entrée en vigueur n’est prévue qu’à compter du 1er janvier 2021, pour les actes passés à compter du 1er janvier 2020. Au-delà, il sera toujours possible de neutraliser les dérapages éventuels par la procédure du rescrit. Le silence de l’administration dans les 6 mois de la demande l’empêchera de contester par la suite.

Ceci dit, la peur d’une réponse négative ou de voir l’administration contester le statut de rescrit au motif que la virgule n’était pas au bon endroit laissent à cette procédure l’issue hasardeuse qu’on lui connaît déjà.

Doit-on craindre des dérapages ?

Il nous semble qu’il faille voir dans cette nouveauté non pas un blanc-seing confié à l’administration pour attaquer toute opération dès lors que les gains réalisés seront fiscaux à plus de 50%, mais plus une mise en conformité avec la jurisprudence interne, les normes et jurisprudences supra-nationales. C’est en tout cas la motivation affichée par le rapport d’information.

Concernant l’article L 64 du LPF, le Conseil d’Etat s’est déjà écarté de la lettre du texte pour en retenir l’esprit : il considère que le but d’une opération est exclusivement fiscal lorsque l’avantage autre que fiscal présente un caractère dérisoire ou minime : il retient donc déjà une notion de motif essentiellement fiscal au lieu d’exclusivement fiscal.

A cet égard, le Conseil d’Etat s’est rapproché de la position de la CJUE qui n’établit pas un calcul idiot de proportions dont on sait bien que certains paramètres sont inchiffrables, mais retient qu’un but est principalement fiscal lorsqu’il est essentiellement motivé par un avantage fiscal. Dès lors que l’avantage non fiscal a une réelle substance et ne constitue pas un simple prétexte, l’opération n’est pas abusive au sens du droit communautaire.

Reste à voir si cette position sera également retenue pour le nouvel article L64 A.

Enfin, si le motif principal doit être la recherche d’un gain fiscal, le moyen mis en oeuvre doit être la recherche d’une application littérale des textes et décisions à l’encontre de l’objectif de leurs auteurs. S’il y a un gain fiscal mais sans détournement de l’esprit d’un texte ou d’une décision, l’article L 64 A ne sera pas applicable.

« …l’administration est en droit d’écarter, comme ne lui étant pas opposables, les actes qui, recherchant le bénéfice d’une application littérale des textes ou de décisions à l’encontre des objectifs poursuivis par leurs auteurs, ont pour motif principal d’éluder ou d’atténuer les charges fiscales que l’intéressé, si ces actes n’avaient pas été passés ou réalisés, aurait normalement supportés eu égard à sa situation ou à ses activités réelles… »

Et si malgré tout, l’administration détourne le dispositif au profit d’une campagne d’attaques systématiques ?

Ca n’est pas l’objectif affiché, au contraire, la commission des finances parle même d’une volonté d’uniformiser les textes avec la jurisprudence dans un souci de sécurité juridique et de lisibilité. Il fallait oser.

Il est probable que les contribuables qui auront pris le soin de constituer proprement leur dossier de sorte que leur bonne foi ne soit pas contestable pourront se défendre avec succès pour les raisons ci-dessus. Mais c’est déjà en soi un problème : seuls ceux qui auront les moyens de se défendre pourront le faire.

Certes, un pit-bull est lâché dans un jardin d’enfants, et son maître vous dit : « ne vous inquiétez pas ! Il adore les enfants… »

On ne peut pas s’empêcher de se demander ce qu’il entend par là.

Pour autant, il ne faut pas paniquer et voir de l’abus de droit partout.

N’hésitez pas à nous contacter pour avis en cas de doute.

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