Un couple procède à 9 opérations d’achat-revente. Invoquer pour les reventes, l’exonération de plus-value pour cession de résidence principale permet-il d’échapper à la requalification d’opérations de marchand de biens ? Le Conseil d’Etat se prononce.
La décision
Entre 1999 et 2012, M. et Mme B procèdent à 9 opérations d’achat de terrains et de revente de biens immobiliers. Ils invoquent l’exonération des plus-values des particuliers pour cession de leur résidence principale.
Considérant qu’ils ont agi comme des marchands de biens, l’administration fiscale estime que les opérations relevaient des BIC et de la TVA.
La Cour d’appel donne raison à l’administration – CAA BORDEAUX, 13 janvier 2022, n° 20BX01454 et 20BX01455 – estimant qu’il résultait du nombre d’opérations réalisées sur la période, du court délai qui séparait l’achèvement des travaux de construction des maisons de leur vente, et de la circonstance qu’avant même d’avoir réalisé les ventes, les contribuables avaient déjà acquis de nouveaux terrains, que ces opérations immobilières avaient procédé d’une intention spéculative.
M. et Mme B forment un pourvoi, invoquant que la Cour d’appel a commis une erreur de droit en jugeant que la chronologie des cessions en litige était suffisante pour conclure que les biens cédés ne pouvaient avoir été occupés comme résidences principales et qu’il leur appartenait de démontrer le contraire.
Le Conseil d’Etat leur donne raison – CE, 14 juin 2023, n° 461960, Inédit au recueil Lebon :
« 5. La seule circonstance qu’un contribuable procède à des acquisitions et cessions successives d’immeubles qu’il affecte à sa résidence principale, sans que l’administration fiscale n’établisse ni qu’il ne les aurait pas occupés à ce titre ni que ces opérations procédaient d’un abus de droit, ne saurait, compte tenu de l’exonération des plus-values de cession de résidence principale prévue par l’article 150-U du code général des impôts, caractériser une activité de marchand de biens.
6. Il ressort des pièces du dossier soumis aux juges du fond qu’au titre des années en litige, M. et Mme B… ont cédé plusieurs maisons d’habitation qu’ils avaient construites sur des terrains acquis antérieurement. Ils ont placé ces cessions sous le régime d’exonération prévu par l’article 150-U du code général des impôts en faveur des résidences principales ainsi qu’en franchise de taxe sur la valeur ajoutée au motif qu’elles ne relevaient pas des opérations mentionnées à l’article 256 A du même code. La cour a jugé, d’une part, que les intéressés résultait du nombre d’opérations réalisées sur la période, du court délai qui séparait l’achèvement des travaux de construction des maisons de leur vente, et de la circonstance qu’avant même d’avoir réalisé les ventes, les contribuables avaient déjà acquis de nouveaux terrains, que ces opérations immobilières avaient procédé d’une intention spéculative et, d’autre part, qu’ils n’apportaient aucun élément de nature à établir que ces habitations étaient, à la date de cession, leur résidence principale. En statuant ainsi, alors que l’administration fiscale n’avait ni remis en cause l’affectation à la résidence principale de certains des immeubles cédés ni invoqué l’abus de droit, la cour a commis une erreur de droit.
Pour consulter la décision :
Décryptage
Il résulte de l’article 35 du CGI que les marchands de biens sont les personnes qui, à titre habituel, achètent des immeubles en vue de les revendre, en l’état ou après construction.
La qualification de marchand de biens au regard des BIC nécessite la réunion de deux conditions cumulatives : une intention spéculative, appréciée au moment de l’acquisition et un caractère habituel.
Pour relever de la TVA, les opérations doivent être réalisées par un assujetti agissant en tant que tel.
Les opérations d’achat/revente de biens immobiliers sont soumises à la TVA si une activité économique est caractérisée :
– si les opérations présentent un caractère habituel et une intention spéculative ;
– ou en présence de démarches actives de commercialisation foncière, telles que la réalisation de travaux de viabilisation ou la mise en œuvre de moyens de commercialisation de type professionnel.
Le Conseil d’Etat énonce :
« 4. Il résulte de ces dispositions (articles 35, 150 U et 256 du CGI) que les bénéfices et le chiffre d’affaires réalisés à l’occasion de la cession d’immeubles sont imposables à l’impôt sur le revenu dans la catégorie des bénéfices industriels et commerciaux et taxables à la taxe sur la valeur ajoutée, lorsque ces cessions sont faites par un contribuable qui se livre habituellement à l’activité de marchand de biens, sauf pour l’intéressé à établir soit que les immeubles qu’il a vendus avaient été acquis pour satisfaire des besoins personnels ou familiaux et, de ce fait, que leur vente relevait de la simple gestion de son patrimoine personnel, soit que les immeubles en cause constituaient sa résidence principale. »
Cette solution est classique, le Conseil d’Etat l’ayant déjà énoncée (voir notamment CE, 17 mai 1995, n° 133008, mentionné aux tables du recueil Lebon – CE, 14 décembre 2007, n° 262695, Inédit au recueil Lebon).
Pour un marchand de biens, fixer sa résidence principale dans des biens destinés à être revendus permet donc d’exclure la qualification de marchand de biens pour les opérations en cause et donc l’imposition aux BIC et à la TVA.
Toutefois, comme le relève le Conseil d’Etat, l’administration fiscale peut toujours :
– établir qu’il ne s’agissait pas de la résidence principale du contribuable,
– que les opérations procédaient d’un abus de droit (notamment au regard du nombre d’opérations).
Attention également à la contrepartie : si le bien est reconnu comme dépendant du patrimoine privé, le bénéfice du taux réduit des droits d’enregistrement invoqué lors de l’acquisition (régime des achats destinés à la revente article 1115 du CGI) pourra être remis en cause (voir en ce sens : Cass. com., 17 juin 2003, n° 01-03.818, Inédit). La logique devrait être la même pour l’exonération liée à l’engagement de construire et pour la récupération de TVA (le cédant n’étant pas considéré comme un assujetti agissant en tant que tel).
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