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LA « CLAUSE DE SUSPENSION » DU BAIL COMMERCIAL PERMET-ELLE DE S’EXONERER DES LOYERS PENDANT LES PERIODES DE FERMETURE ADMINISTRATIVE COVID ?

La Cour de cassation avait déjà jugé que ni la perte partielle de la chose louée, ni l’inexécution de l’obligation de délivrance, ni la force majeure, ne permettent aux locataires de s’exonérer du paiement des loyers pendant les périodes de fermeture administrative. Des locataires ont alors invoqué la « clause de suspension du versement des loyers » prévue au bail. La Cour de cassation se prononce.

Les décisions

Des bailleurs ont consenti des baux commerciaux à une société locataire portant sur divers lots situés dans deux résidences de tourisme.
En raison des mesures relatives à la lutte contre la propagation du virus covid-19, la locataire a cessé son activité dans les résidences concernées du 14 mars au 2 juin 2020 et informé les bailleurs de sa décision d’interrompre le paiement du loyer et des charges pendant cette période.
Les bailleurs ont assigné la locataire en paiement de provisions correspondant à l’arriéré locatif, ce qui a été admis par les juges du fond.

La locataire se pourvoit en cassation invoquant :
– l’exception d’inexécution, dès lors qu’elle se trouvait dans l’impossibilité d’utiliser les locaux conformément à leur destination contractuelle ;
– la perte partielle de la chose louée ;
– le bail : il résultait des stipulations du bail qu’en cas d’indisponibilité du bien loué à raison notamment de circonstances exceptionnelles ne permettant pas une occupation effective et normale du bien, le versement du loyer serait suspendu, mais serait couvert soit par la garantie perte de loyers souscrite par le syndic de l’immeuble, soit par la garantie perte d’exploitation du preneur.

La Cour de cassation – Cass. civ. 3, 23 novembre 2022, n° 21-21.867, Publié au bulletin – rejette le pourvoi :

« L’effet de la mesure gouvernementale d’interdiction de recevoir du public, générale et temporaire et sans lien direct avec la destination contractuelle du local loué, ne peut être, d’une part, imputable aux bailleurs, de sorte qu’il ne peut leur être reproché un manquement à leur obligation de délivrance, d’autre part, assimilé à la perte de la chose, au sens de l’article 1722 du code civil (3e Civ., 30 juin 2022, pourvoi n° 21-20.127, publié au bulletin).
Après avoir relevé que seuls les exploitants se sont vu interdire de recevoir leurs clients pour des raisons étrangères aux locaux loués qui n’avaient subi aucun changement, la cour d’appel a retenu, à bon droit, que les mesures d’interdiction d’exploitation, qui ne sont ni du fait ni de la faute du bailleur, ne constituent pas une circonstance affectant le bien, emportant perte de la chose louée.

Elle a ensuite constaté, sans interpréter le contrat, que la clause de suspension du loyer prévue au bail ne pouvait recevoir application que dans les cas où le bien était indisponible par le fait ou la faute du bailleur ou en raison d’un désordre ou d’une circonstance exceptionnelle affectant le bien loué et que la condition de suspension, clairement exigée, de couverture des loyers par les assureurs, n’était pas remplie.
Elle n’a pu qu’en déduire que l’obligation de payer le loyer n’était pas sérieusement contestable. »

Dans un deuxième arrêt du même jour – Cass. civ. 3, 23 novembre 2022, n° 22-12.753, Publié au bulletin – portant sur des faits similaires, la Cour de cassation énonce :

« Ayant relevé, d’une part, que la clause précise de suspension du loyer prévue au bail ne pouvait recevoir application que dans les cas où le bien était indisponible soit par le fait ou la faute du bailleur, soit en raison de désordres de nature décennale ou de la survenance de circonstances exceptionnelles affectant le bien loué lui-même, d’autre part, que la locataire ne caractérisait pas en quoi les mesures prises pendant la crise sanitaire constituaient une circonstance affectant le bien, la cour d’appel, qui n’a pas interprété le contrat, n’a pu qu’en déduire que l’obligation de payer le loyer n’était pas sérieusement contestable. »

Pour consulter les décisions :

https://www.legifrance.gouv.fr/juri/id/JURITEXT000046651894?init=true&page=1&query=Odalys+r%C3%A9sidences&searchField=ALL&tab_selection=all

https://www.legifrance.gouv.fr/juri/id/JURITEXT000046651892?init=true&page=1&query=22-12.753&searchField=ALL&tab_selection=all

Décryptage

Suite aux mesures gouvernementales d’interdiction de recevoir du public, nombreux sont les locataires commerciaux qui ont estimé ne pas devoir payer leur loyer, invoquant la perte partielle de la chose louée, l’inexécution de l’obligation de délivrance et/ou la force majeure.

Par trois arrêts du 30 juin 2002, la Cour de cassation s’était prononcée :

« L’effet de cette mesure générale et temporaire, sans lien direct avec la destination contractuelle du local loué, ne peut donc être assimilé à la perte de la chose, au sens de l’article 1722 du code civil.
(…)

Ayant relevé que les locaux loués avaient été mis à disposition de la locataire, qui admettait que l’impossibilité d’exploiter, qu’elle alléguait, était le seul fait du législateur, la cour d’appel en a exactement déduit que la mesure générale de police administrative portant interdiction de recevoir du public n’était pas constitutive d’une inexécution de l’obligation de délivrance. 

(…)

Il résulte de l’article 1218 du code civil que le créancier qui n’a pu profiter de la contrepartie à laquelle il avait droit ne peut obtenir la résolution du contrat ou la suspension de son obligation en invoquant la force majeure. »

Ni la perte partielle de la chose louée, ni l’inexécution de l’obligation de délivrance, ni la force majeure, ne permettent aux locataires de s’exonérer du paiement des loyers pendant les périodes de fermeture administrative.

Pour plus de précisions sur ces arrêts, vous pouvez consulter notre article :

En l’espèce, le locataire invoquait en outre une clause de suspension prévue au bail de laquelle il résultait qu’en cas d’indisponibilité du bien loué à raison notamment de circonstances exceptionnelles ne permettant pas une occupation effective et normale du bien, le versement du loyer serait suspendu.

La Cour de cassation, répondant au moyen, précise que la mesure gouvernementale d’interdiction de recevoir du public, générale et temporaire et sans lien direct avec la destination contractuelle du local loué, ne peut être :

– d’une part, imputable aux bailleurs, de sorte qu’il ne peut leur être reproché un manquement à leur obligation de délivrance,

– d’autre part, assimilé à la perte de la chose.

Elle confirme sa position énoncée dans les arrêts du 30 juin 2022.

De plus, elle approuve les juges du fond d’avoir constaté que la clause de suspension du loyer prévue au bail ne pouvait recevoir application :

– dans le 1er arrêt : que dans les cas où le bien était indisponible par le fait ou la faute du bailleur ou en raison d’un désordre ou d’une circonstance exceptionnelle affectant le bien loué ;

– dans le 2ème arrêt : que dans les cas où le bien était indisponible soit par le fait ou la faute du bailleur, soit en raison de désordres de nature décennale ou de la survenance de circonstances exceptionnelles affectant le bien loué lui-même.

A défaut de caractériser en quoi les mesures prises pendant la crise sanitaire constituaient une circonstance affectant le bien, la clause de suspension n’était pas applicable et l’obligation de payer le loyer n’était pas sérieusement contestable.

Reste à voir si une rédaction différente de la clause de suspension permettrait de conclure à son application pendant les périodes d’interdiction de recevoir du public.

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