Les créanciers d’un époux qui change de régime matrimonial peuvent s’y opposer dans les trois mois de la publication dans un journal d’annonces légales. A défaut, peuvent-ils encore exercer l’action paulienne ? Retour sur un arrêt récent de la Cour de cassation.
La décision
M et Mme K sont mariés sous le régime de la communauté légale.
Face à la situation de cessation des paiements de la société dont Monsieur est associé, les époux adoptent le régime de la séparation de biens par acte du 7 novembre 2005. Le TGI compétent homologue le changement de régime le 17 février 2006. Le partage est signé le 14 avril 2006 : les titres sociaux pour Monsieur, l’immobilier de valeur pour Madame …
La banque créancière de la société intente une action paulienne le 14 décembre 2014 après qu’un jugement du tribunal correctionnel ait considéré que les agissements de l’époux, en sa qualité de dirigeant de la société, le rendaient personnellement débiteur de la banque.
Mme K conteste :
- Les actions personnelles se prescrivent par 5 ans à compter de l’information de leur titulaire.
- L’action paulienne n’est ouverte que si le partage a été réalisé à la hâte, ce qui n’était pas le cas.
- Le créancier n’a pas exercé la tierce opposition contre le jugement d’homologation du changement de régime matrimonial.
La Cour de cassation donne raison au créancier (Cass. Civ. 1 n°19-17571 et 19-17631 du 17 février 2021) :
- la prescription de l’action paulienne n’était pas acquise, compte tenu des faits de l’espèce : l’époux n’a été rendu personnellement débiteur de la banque que suite à un jugement correctionnel de 2014.
- Le partage avait été réalisé à la hâte, avant l’opposabilité du jugement d’homologation du changement de régime matrimonial aux tiers.
- L’immobilier attribué à Madame excédait considérablement la valeur des titres sociaux attribués à Monsieur. Le partage était donc fictif.
La tierce opposition n’est pas exclusive de l’action paulienne
Nous ne nous attardons pas sur les circonstances de l’espèce. Ce qui nous intéresse ici, c’est d’alerter les praticiens : le respect de la procédure de changement de régime matrimonial ne se suffit pas à elle-même pour garantir la sécurité d’une telle opération.
L’allègement de ladite procédure, postérieurement aux faits de l’espèce, ne change rien au raisonnement.
Les créanciers sont informés de la modification envisagée par la publication dans un journal d’annonces légales du domicile des époux. Ils disposent alors de trois mois pour former tierce opposition. Dans ce cas, l’opération ne pourra être réalisée que sur homologation judiciaire.
Est-ce à dire qu’à défaut d’opposition, le créancier ne peut plus contester ?
Non. La tierce opposition propre à la procédure de changement de régime matrimonial telle qu’elle résulte de l’article 1397, n’est pas exclusive de l’action paulienne. Au contraire, l’article 1397 lui-même prévoit désormais : « Les créanciers non opposants, s’il a été fait fraude à leurs droits, peuvent attaquer le changement de régime matrimonial dans les conditions de l’article 1341-2. »
Article 1341-2 du Code civil :
« Le créancier peut aussi agir en son nom personnel pour faire déclarer inopposables à son égard les actes faits par son débiteur en fraude de ses droits, à charge d’établir, s’il s’agit d’un acte à titre onéreux, que le tiers cocontractant avait connaissance de la fraude. »
Il est donc primordial pour le praticien d’avoir conscience de l’importance des modalités du partage qu’il réalise.
S’il est déséquilibré, il reste fragile, indépendamment du respect des formalités.
Pour lire l’arrêt :