Les transmissions à titre gratuit sont éligibles au dispositif Dutreil sous quatre conditions relatives à la souscription d’engagements collectifs et individuels de conservation, à l’exercice de fonctions de direction et au respect d’obligations déclaratives. Le respect de ces conditions donne accès au Graal de la fiscalité française: une exonération d’assiette de 75% sans aucun plafond, du jamais vu !
Vertus et limites de l’engagement réputé acquis
L’engagement collectif doit être en cours au moment de la transmission et avoir une durée initiale d’au moins deux ans.Il est réputé acquis lorsque le défunt ou donateur seul ou avec son conjoint ou partenaire de Pacs détient depuis deux ans au moins 34% du capital ou des droits de vote (ou 20%) et que l’un d’eux exerce dans la société depuis plus de deux ans son activité professionnelle ou, lorsque la société relève de l’IS, l’une des fonctions de direction requises.
Les vertus de l’engagement réputé acquis
Il permet de voir démarrer l’engagement individuel dès la transmission, ou dès l’enregistrement dans certains cas, et donc de gagner deux ans.
Il en résulte la possibilité de constituer immédiatement une holding de rachat de la soulte éventuelle.En effet, lorsque l’engagement collectif n’est pas réputé acquis, l’apport des titres transmis à une holding «Dutreil» entraîne rupture de l’engagement.
Il est alors nécessaire d’attendre la fin des deux ans.
Une soulte peut toujours être stipulée payable à terme mais les dispositions de l’article 1075-4 du Code civil sont d’ordre public: lorsque les biens ayant de servi de calcul au montant de la soulte dans le cadre d’une donation-partage varient de plus de 25%, la soulte doit obligatoirement être indexée.
Les limites de l’engagement réputé acquis
Les conditions d’application de l’engagement réputé acquis sont plus restrictives que celles de l’engagement collectif classique à deux titres:
1- L’engagement réputé acquis ne concerne que les sociétés exploitantes. Il est inapplicable aux titres d’une holding pure, même pas partiellement. Dès lors, en présence d’une holding animatrice de groupe, on recommandera la plus grande prudence face au risque de contestation du caractère animateur. En matière d’engagement collectif conventionnel, on peut utiliser un filet de sécurité: faire souscrire un engagement collectif de conservation des titres de ses filiales par la holding qui se prétend animatrice et au moins un autre associé. Ainsi, en cas de contestation du caractère animateur de la holding, une application au moins partielle de l’exonération pourra être revendiquée. En matière d’engagement réputé acquis, c’est tout ou rien. Cette stratégie ne sera d’aucun recours.
2- En matière d’engagement collectif, le texte prévoit que les fonctions de direction peuvent être exercées par un donataire, un héritier ou légataire, mais également par l’un des signataires de l’engagement collectif. En matière d’engagement réputé acquis, le texte ne se prononce pas. Dès lors, une lecture restrictive conduit à considérer que les fonctions de direction ne peuvent être valablement exercées que par un donataire, un héritier ou légataire, et non par le donateur, lequel n’est ici par définition pas signataire d’un engagement collectif. L’esprit du texte devrait permettre de ne pas avoir à nommer l’un des donataires à des fonctions de direction dès lors que le donateur conserve son statut, c’est d’ailleurs la position de la doctrine majoritaire. Dans le doute et en considération des enjeux, il nous semble prudent de nommer l’un des donataires… à des fonctions de direction. Si cette nomination s’avère inopportune ou impossible, on recommandera de ne pas se prévaloir d’un engagement réputé acquis et de revenir à l’engagement collectif conventionnel.
Ce que dit la RM Férond du 2 août 2016
En matière d’engagements collectifs, il résulte du Bofip que lorsque le capital d’une société est augmenté par incorporation de réserves, les nouveaux titres émis à cette occasion bénéficient de l’antériorité d’un engagement collectif en cours, sous réserve:
– qu’ils soient attribués aux associés au prorata des droits dans le capital;
– et qu’ils soient conservés jusqu’à la fin de la durée de l’engagement collectif.
Dans la même logique, lorsque le nominal des titres est réduit et que de nouveaux titres sont créés corrélativement, l’engagement collectif en cours n’est pas remis en question à condition que tous soient conservés jusqu’au terme de l’engagement.( BOI-ENR-DMTG-10-20-40-10 n°120 ).
Il s’agit là d’une position opportune à plusieurs titres :
-L’augmentation de capital par incorporation de réserves ne fait que transformer la nature d’une richesse laquelle est interne et ne résulte pas d’apports nouveaux. Il semble donc légitime que les titres créés à cette occasion bénéficient de l’antériorité de l’engagement de conservation en cours.
-L’augmentation de capital aurait pu être réalisée par augmentation du nominal sans création de titres nouveaux. Pourquoi dès lors traiter les deux modalités différemment?
-L’associé peut subir la décision d’augmentation de capital par incorporation de réserves, laquelle requiert une majorité et non l’unanimité dès lors qu’elle n’augmente pas les engagements des associés.
L’administration aurait pu se retrancher derrière une application stricte de l’article 787 B du CGI. Il y a bien création de titres nouveaux. Il n’eut pas été difficile pour elle de justifier une telle position.
On ne peut donc que saluer sa doctrine.Hélas, elle fait preuve de moins de souplesse lorsque l’engagement collectif n’est que réputé acquis et ce sans s’embarrasser de justifications autres que le rappel du texte:
«Un engagement ne peut être ‘réputé acquis’ que sur des titres, quelle que soit leur modalité d’acquisition, détenus depuis plus de deux ans, à la date de la transmission bénéficiant de l’avantage fiscal. En revanche, quand bien même le contribuable remplirait les conditions nécessaires pour bénéficier du régime de faveur sur certains titres (seuil et durée de détention notamment), il ne saurait en bénéficier sur d’autres titres acquis depuis moins de deux ans, même dans le cas d’une augmentation de capital par incorporation de réserves. »
Les titres créés lors de l’augmentation de capital ne bénéficient donc pas de l’antériorité des titres auxquels ils se rattachent.L’administration refuse donc de faire pour l’engagement réputé acquis, l’effort qu’elle a accepté pour l’engagement collectif conventionnel.
Ce que la RM Féron ne dit pas
Lorsque le capital est augmenté par incorporation de réserves mais que le véhicule utilisé est l’accroissement du nominal et non la création de titres nouveaux, l’antériorité des titres permet-elle de bénéficier de l’engagement réputé acquis?
La pratique considère que oui.
L’administration ne s’est pas encore prononcée sur la question. Pourrait-elle le refuser au motif que le véhicule utilisé ne doit pas aboutir à une différence de traitement par rapport à l’augmentation de capital par création de titres nouveaux?
Une telle position serait difficile à justifier.De la même façon, lorsque le nombre de titres est augmenté par réduction du nominal, de quelle antériorité les titres nouveaux bénéficient-ils?
Celle des titres dont ils sont issus ou la leur propre? Nous n’avons pas connaissance que l’administration ait pris position en matière d’engagement réputé acquis alors qu’elle s’est montrée libérale en matière d’engagement collectif conventionnel.Le régime des titres créés à l’occasion d’une augmentation de capital par incorporation de réserves est devenu complexe. Il diffère selon la nature de l’imposition. Rappelons à titre d’illustration qu’en matière de plus-value, le point de départ à prendre en compte pour la durée de détention est la date d’acquisition des titres auxquels les titres attribués gratuitement de se rapportent ( BOI-RPPM-PVBMI-20-20-20-20 n°10 ).
La seule conclusion que l’on puisse tirer d’une telle complexité est toujours la même depuis la création du dispositif Dutreil transmissions: ne laissez pas une société sans engagement collectif «balai» en cours!