Le bénéficiaire initial d’une assurance-vie, évincé par avenant, veut le faire annuler. Quels éléments peuvent être pris en compte : éléments intrinsèques à l’avenant ou également extrinsèques ? La Cour de cassation se prononce.
La décision
M. U souscrit deux contrats d’assurance vie.
En 2012, il appose sa signature sur deux avenants, rédigés par son assistante de vie, modifiant les clauses bénéficiaires.
En 2013, M. U décède. Les avenants sont adressés après son décès à l’assureur, qui verse les fonds aux nouvelles bénéficiaires désignées.
Le bénéficiaire initial agit en en nullité de ces avenants et en condamnation de chacune de ces bénéficiaires, solidairement avec l’assureur, au paiement des sommes correspondantes.
La Cour d’appel – CA PARIS, 24 novembre 2020, n° 18/27333 – rejette sa demande au motif que la nullité pour insanité d’esprit ne peut aboutir que si la clause litigieuse porte en elle-même la preuve d’un trouble mental. Or la Cour retient que les dispositions de l’acte modifiant le nom du bénéficiaire ne sont en elles-mêmes ni incohérentes, ni absurdes ou démesurées.
Mme D, ayant droit du bénéficiaire initial, forme un pourvoi au motif que : « l’absence de consentement qui entraîne la nullité de l’acte peut découler d’une insanité d’esprit mais aussi de l’absence de consentement réel et sérieux en ce que l’auteur de l’acte n’a pas perçu la signification exacte et la portée de l’engagement qu’il prend ; que, distincte de l’insanité d’esprit, l’absence de consentement réel et sérieux peut être établie par des éléments extrinsèques à l’acte litigieux ».
La Cour de cassation – Cass. civ. 1, 5 avril 2023, n° 21-12.875, Inédit – lui donne raison :
« Vu l’article 132-8 du code des assurances :
8. Il résulte de ce texte que l’assuré peut modifier jusqu’à son décès le nom du bénéficiaire du contrat d’assurance sur la vie, dès lors que sa volonté est exprimée d’une manière certaine et non équivoque.
9. Pour dire que l’action introduite par [M] [U] est irrecevable en application de l’article 414-2-1°du code civil et que la nullité de la modification des clauses bénéficiaires par avenants du 27 octobre 2012 n’est pas encourue sur ce fondement, l’arrêt retient que n’étant allégué aucun vice du consentement du souscripteur, cette action ne peut relever que des dispositions des articles 414-1 et 414-2 du code civil, et d’une part, que les dispositions des actes modifiant le nom des bénéficiaires ne sont en elles-même ni incohérentes ni absurdes ou démesurées, d’autre part, que l’apparence formelle, certes tremblée et mal assurée, de la signature de [P] [U] ne permet pas, à elle seule, de déduire de manière certaine un état de déficience mentale grave et donc l’insanité d’esprit de son auteur.
10. En se déterminant ainsi, sans rechercher, comme il le lui était demandé, s’il ne résultait pas de l’ensemble des circonstances extérieures ayant entouré la signature des avenants du 27 octobre 2012 que [P] [U] n’avait pas exprimé de manière certaine et non équivoque sa volonté de modifier les clauses bénéficiaires, la cour d’appel n’a pas donné de base légale à sa décision. »
Pour consulter la décision : https://www.legifrance.gouv.fr/juri/id/JURITEXT000047454404?init=true&page=1&query=21-12.875&searchField=ALL&tab_selection=all
Décryptage
Sur quel fondement peut-on remettre en cause la désignation du bénéficiaire d’une assurance-vie ? De la réponse à cette question dépend le fait savoir si seuls les éléments intrinsèques à l’acte à annuler doivent être pris en compte ou si l’on peut retenir les éléments extrinsèques.
Le raisonnement de la Cour d’appel a été le suivant :
1- le défaut de consentement constituant une nullité relative, cette nullité ne peut être invoquée que par son auteur ;
2- aucun vice du consentement (erreur, dol ou violence) n’était invoqué ;
3- il ne restait donc que la possibilité d’invoquer la nullité pour insanité d’esprit, laquelle ne peut résulter que d’éléments intrinsèques.
En effet, aux termes de l’article 414-2 du Code civil, au décès de l’intéressé, cette nullité ne peut être invoquée que dans les cas suivants :
1° Si l’acte porte en lui-même la preuve d’un trouble mental ;
2° S’il a été fait alors que l’intéressé était placé sous sauvegarde de justice ;
3° Si une action a été introduite avant son décès aux fins d’ouverture d’une curatelle ou d’une tutelle ou aux fins d’habilitation familiale ou si effet a été donné au mandat de protection future.
La Cour de cassation censure ce raisonnement au visa de l’article 132-8 du code des assurances, énonçant qu’il résulte de ce texte que l’assuré peut modifier jusqu’à son décès le nom du bénéficiaire du contrat d’assurance sur la vie, dès lors que sa volonté est exprimée d’une manière certaine et non équivoque.
Cette position est ancienne (voir notamment Cass. civ. 1, 6 mai 1997, n° 95-15.319, Publié au bulletin ; Cass. civ. 1, 25 septembre 2013, n° 12-23.197).
En matière de désignation de bénéficiaire d’assurance vie, le défaut de consentement peut donc être invoqué, y compris par une personne autre que l’auteur du contentement.
Le consentement ou volonté certaine et non équivoque résulte tant de l’acte que des circonstances extérieures ayant entouré la signature.
Les éléments intrinsèques et extrinsèques sont pris en compte si le défaut de consentement est invoqué, alors que si l’insanité d’esprit est invoquée, seuls les éléments intrinsèques peuvent être retenus.
L’appréciation de la volonté certaine et non équivoque relève de l’appréciation souveraine des juges (Cass. civ. 1, 29 juin 1999, n° 97-13876 ; Cass. civ. 1, 29 mars 2001, n° 99-16606 ; Cass. civ. 1, 7 novembre 2012, n° 11-22.634).