Un commerçant résilie son contrat d’approvisionnement contenant notamment un pacte de préférence. Quelques jours après, il cède son fonds de commerce. Devait-il respecter le pacte, dès lors que le contrat support n’existait plus au moment de la vente ?
La décision
Madame U (ça n’est pas un jeu de mot …), conclut en 2007 avec la société DISTRIBUTION CASINO France, un contrat d’approvisionnement, pour l’exploitation d’un fonds de commerce d’alimentation avec mise à disposition d’une enseigne, pour 7 ans renouvelables tacitement et comportant un pacte de préférence.
En 2017, Madame U notifie à CASINO sa décision de ne pas renouveler le contrat à son échéance du 4 juin 2017. 3 jours plus tard seulement, elle cède son fonds de commerce.
Se prévalant du non-respect du pacte de préférence, d’une clause de non-concurrence et d’une clause d’exclusivité d’approvisionnement, CASINO assigne Madame U en résiliation judiciaire du contrat aux torts exclusifs de cette dernière et en réparation des préjudices.
La Cour d’appel de RIOM la déboute par un arrêt du 19 février 2020, au motif notamment, que lorsque la cession du fonds de commerce est intervenue, le contrat au sein duquel le pacte de préférence avait été stipulé était déjà résilié.
CASINO forme un pourvoi au motif que la notification du projet de vente devait être réalisée à la date à laquelle Madame U a décidé de vendre et non pas seulement au jour de la vente.
La Chambre commerciale de la Cour de cassation, par un arrêt n°20-16.869 du 16 février 2022, la déboute :
« Le pacte de préférence implique l’obligation, pour le promettant, de donner préférence au bénéficiaire lorsqu’il décide de vendre le bien et de lui faire connaître les conditions particulières de la vente avant la réalisation de celle-ci.
Pour rejeter la demande de dommages-intérêts formée par la société Casino en réparation de la violation du pacte de préférence, l’arrêt, après avoir rappelé la clause du contrat conférant ce droit à la société Casino et lui reconnaissant un délai de trois mois à compter de la réception du projet de cession pour faire connaître au détaillant sa décision de se porter acquéreur aux conditions de la vente envisagée, retient que le contrat d’approvisionnement est arrivé à son terme le 4 juin 2017 et que la cession du fonds a été réalisée le 7 juin 2017, postérieurement à la fin de ce contrat, de sorte qu’aucune violation du droit de préférence n’est caractérisée.
En statuant ainsi, alors que la date de la cession était incompatible avec l’exercice effectif de l’information due à la société Casino sur le projet de vente en vue de l’exercice éventuel de son droit de préférence, la cour d’appel a violé le texte susvisé. »
Décryptage
Le pacte de préférence peut être consenti à titre principal ou à titre accessoire d’un autre contrat.
Lorsque le même acte contient à la fois le pacte de préférence et une autre convention, les deux stipulations sont, en principe, indépendantes, sauf si les parties ont stipulé une indivisibilité.
Il semble que cela était le cas en l’espèce : le pacte de préférence ne s’appliquait que tant que le contrat d’approvisionnement était en cours.
Certes la vente n’a eu lieu qu’après la fin du contrat d’approvisionnement et donc la fin du pacte de préférence.
Dans une affaire où une promesse unilatérale de vente avait été signée pendant la durée de validité du pacte de préférence mais où la levée d’option n’avait eu lieu qu’après la date d’échéance du pacte, la Cour de cassation avait déjà énoncé : « le pacte de préférence implique l’obligation, pour le promettant, de donner préférence au bénéficiaire lorsqu’il décide de vendre le bien » (Cass., civ. 3, 6 décembre 2018, n° 17-23.321).
Le même attendu est repris ici : « Le pacte de préférence implique l’obligation, pour le promettant, de donner préférence au bénéficiaire lorsqu’il décide de vendre le bien et de lui faire connaître les conditions particulières de la vente avant la réalisation de celle-ci. ».
C’est donc bien au moment de la décision de vendre et non au moment de la réalisation, que le promettant doit donner préférence au bénéficiaire. Si la vente intervient après la fin de validité du pacte de préférence mais que le principe de la cession est antérieur, le pacte de préférence s’applique.
Nous n’avons pas connaissance de l’existence ou non d’un accord conclu avant la fin du pacte de préférence, mais la Cour de cassation vise l’article 1134 du code civil (dans sa rédaction antérieure à celle issue de l’ordonnance du 10 février 2016, applicable en l’espèce), énonçant que les conventions doivent être exécutées de bonne foi.
Il est en effet difficile d’imaginer que la décision et la réalisation d’une vente d’un fonds puisse se réaliser en seulement 3 jours, délai écoulé entre la fin du pacte de préférence et la réalisation de la vente …