Une Cour d’appel écarte une décote pour illiquidité de titres en retenant l’existence d’un démembrement. La Cour de cassation rappelle à l’ordre les juges du fond.
La décision
L’administration fiscale remet en cause les valeurs vénales déclarées par M. et Mme V dans leur déclaration d’ISF, notamment concernant un bien immobilier appartenant à une SCI dont M. et Mme V détiennent l’usufruit des parts sociales.
Les juges du fond donnent raison à l’administration.
M. et Mme V se pourvoient en cassation invoquant notamment :
– que les parts sociales détenues par l’associé d’une société civile immobilière, tout comme les droits sur une indivision, ont une valeur inférieure à la fraction qu’ils représentent sur la valeur vénale totale de l’immeuble ;
– que (…) l’absence de libre cessibilité de parts sociales du fait d’une clause d’agrément est de nature à affecter leur évaluation et à en diminuer la valeur, ce qui justifie en conséquence un abattement.
La Cour de cassation (Cass. com., 15 février 2023, n° 20-19.451, Inédit) énonce :
« Il relève que M. et Mme [V] sont titulaires de l’usufruit de l’intégralité des parts de la société propriétaire du bien et retient qu’à ce titre, ils sont tenus d’inclure dans leur déclaration d’ISF la valeur en pleine propriété de ce bien, aucun abattement ou décote ne pouvant leur être appliqué.
L’arrêt énonce ensuite que les parts sociales détenues par les associés d’une SCI ont une valeur inférieure à la fraction qu’ils représentent, sur la valeur totale du bien, mais retient qu’il ne saurait être fait application de la méthode d’évaluation des droits indivis, puisque les droits de M. et Mme [V] portent sur la totalité de l’usufruit des parts de la SCI propriétaire du bien et qu’il ne s’agit donc pas d’indivision.
Enfin, après avoir énoncé que l’existence d’une clause d’agrément de tous les associés pour la cession des parts sociales limite la liquidité du bien, l’arrêt retient que les biens dont la propriété est démembrée et qui entrent dans le champ d’application de l’article 885 G du code général des impôts, doivent être déclarés dans l’assiette de l’ISF pour leur valeur vénale en pleine propriété sans aucun abattement ou décote au titre du démembrement.
En se déterminant ainsi, par des motifs tenant à l’absence de situation d’indivision et au fait qu’aucun abattement ne peut être revendiqué au titre du démembrement de propriété, impropres à exclure qu’une perte de valeur vénale du bien litigieux puisse résulter de la situation des nus-propriétaires, qui ne le détiennent pas directement mais au travers de parts sociales dont la cessibilité est limitée par une clause d’agrément de tous les associés figurant dans les statuts de la SCI, la cour d’appel n’a pas donné de base légale à sa décision. »
Pour consulter la décision :
Décryptage
Cet arrêt rendu en matière d’ISF doit pouvoir s’appliquer en matière d’IFI et de droits de mutation à titre gratuit.
En effet, pour l’évaluation de biens, la règle fixée en matière d’IFI est la même que celle qui existait en matière d’ISF : la valeur des biens/actifs est déterminée suivant les règles en vigueur en matière de droits de mutation par décès.
Sauf cas particuliers, l’usufruitier d’un actif taxable doit déclarer le bien démembré pour sa valeur en pleine propriété.
En matière d’ISF, la Cour de cassation a précisé que ce principe, fixé par l’article 885 G du CGI, s’oppose à l’application de tout abattement dont l’objet serait de constater une diminution de valeur du bien au titre de ce démembrement (Cass. com., 20 mars 2007, n° 05-16.751, Publié au bulletin).
L’administration considère que cet arrêt, rendu en matière d’ISF est transposable à l’IFI, l’article 968 du CGI reprenant, sur ce point, le principe figurant à l’article 885 G du CGI (BOI-PAT-IFI-20-20-30-10).
En l’espèce, la Cour d’appel (CA NIMES, 25 Juin 2020, n° 18/02848), après avoir reconnu qu’il existait une clause d’agrément limitant la liquidité du bien, écarte l’application d’un abattement à ce titre en se référant au démembrement des parts sociales :
« Cependant, l’administration soutient, à juste titre que les biens dont la propriété est démembrée et qui entrent dans le champ d’application de la première phrase de l’article 885 G du code général des impôts doivent être déclarés dans l’assiette de l’impôt de solidarité sur la fortune pour leur valeur vénale en pleine propriété sans aucun abattement ou décote au titre du démembrement. Elle souligne également à juste titre qu’il s’agit d’une Sci familiale constituée après apport des appelants du bien en 2005 ; que le démembrement de propriété a été réalisé par les appelants par donation-partage en 2003 donc antérieurement à la constitution de la Sci. Ils ne démontrent pas de ce fait que la valeur du bien serait impactée par ce démembrement antérieur. »
La Cour de cassation censure ce raisonnement : elle ne dit pas qu’en présence d’une clause d’agrément, l’usufruitier de 100% des parts sociales peut appliquer une décote pour non-liquidité.
Elle relève simplement que l’absence d’indivision et l’existence d’un démembrement ne permettent pas de justifier l’exclusion d’une décote pour illiquidité.
Le démembrement des titres n’exclut pas d’office toute décote pour illiquidité.
Il semble que la Cour d’appel aurait dû étudier si « chaque groupe de parts » (chacun des enfants détenait la nue-propriété de parts dont les parents avaient l’usufruit) pouvait être impacté par la clause d’agrément.
L’administration fiscale, dans son guide de « l’évaluation des entreprises et des titres de sociétés » admet, sous condition, la possibilité d’appliquer une décote liée aux contraintes juridiques ou contractuelles :
« La décote pour clause d’agrément s’impose pour les parts sociales qui ont par nature une liberté de cession limitée. (…) Cependant, cette décote n’affecte en règle générale que les titres minoritaires dès lors que les associés majoritaires, sauf si l’unanimité est requise, ne souffrent évidemment pas de ces contraintes juridiques. »
En matière d’indivision, s’il est admis le principe d’une décote, la jurisprudence considère qu’elle ne doit être appliquée qu’au cas par cas, en fonction des contraintes réelles. Les juges ont ainsi écarté l’application d’une décote en présence d’une indivision entre deux époux ou entre une mère et son fils unique.
La logique devrait être la même en matière de décote pour illiquidité : si les titres considérés en pleine propriété peuvent en bénéficier (titres minoritaires, …), leur démembrement ne fait pas perdre la décote.