Le vendeur a réméré d’un bien immobilier notifie à l’acquéreur la résolution de la vente dans le délai de 5 ans, mais n’a toujours pas versé les fonds plus de 20 ans après. Qui est propriétaire ? La Cour de cassation intervient dans la droite ligne de sa jurisprudence.
La décision
Les consorts U vendent en juin 1995 à une SCI deux parcelles de terrain, avec faculté de réméré au profit des vendeurs pendant 5 ans.
La SCI fait édifier sur ces deux parcelles un bien immobilier en copropriété.
Au printemps 2000, les consorts U informent la SCI et le syndic de leur volonté d’user de la faculté de réméré et ainsi de redevenir propriétaires.
En juillet 2003, l’AG des copropriétaires refuse la cession.
En février 2016, les consorts U assignent le syndicat des copropriétaires pour faire constater qu’ils avaient régulièrement fait valoir leurs droits et qu’ils étaient redevenus propriétaires.
Le syndicat des copropriétaires fait grief à l’arrêt – CA GRENOBLE 2ème Chambre civile n°19/04123 du 12 avril 2022 – de rejeter la fin de non-recevoir tirée de la prescription de l’action des vendeurs, alors que l’action qui tend à faire juger qu’une partie a valablement exercé une faculté de rachat entraînant la résolution de la vente est de nature personnelle et se prescrit par cinq ans et n’est pas imprescriptible.
La Cour de cassation – Civ. 3 n°22-17.992 du 8 juin 2023 – lui donne raison :
« Vu les articles 2224 et 1659 du code civil :
10. Aux termes du premier de ces textes, les actions personnelles ou mobilières se prescrivent par cinq ans à compter du jour où le titulaire d’un droit a connu ou aurait dû connaître les faits lui permettant de l’exercer.
11. Selon le second, le contrat de vente peut être résolu par l’exercice de la faculté de rachat.
12. L’exercice du droit de réméré constitue l’accomplissement, par le vendeur qui en bénéficie, d’une condition résolutoire replaçant les parties dans le même état où elles se trouvaient avant la vente sans opérer une nouvelle mutation (3e Civ., 31 janvier 1984, pourvoi n° 82-13.549, Bull. 1984, III, n° 021).
13. Il en résulte que le vendeur ne retrouve la propriété de son bien, qui a été transférée à l’acquéreur par la vente avec faculté de rachat, que par l’effet de l’exercice régulier de son droit personnel de rachat qui entraîne la résolution de la vente.
14. Pour rejeter la fin de non-recevoir tirée de la prescription de la demande des vendeurs tendant à voir constater qu’ils ont régulièrement usé de leur faculté de rachat et qu’en conséquence ils sont propriétaires de la parcelle cadastrée DT [Cadastre 4], l’arrêt retient que les consorts [U] sont redevenus propriétaires dès la notification de leur choix d’user de leur faculté de rachat et que leur action n’a d’autre objet qu’une revendication immobilière par nature imprescriptible.
15. En statuant ainsi, alors que l’action des vendeurs, en ce qu’elle était fondée sur l’exercice régulier de la faculté contractuelle de rachat prévue à l’acte de vente, était une action personnelle soumise à la prescription quinquennale prévue à l’article 2224 du code civil, la cour d’appel a violé les textes susvisés. »
Pour consulter la décision :
Décryptage
La vente à réméré est peu connue mais mérite l’attention des investisseurs, même si exercée à titre habituel et dans certaines conditions, elle se heurtera au monopole bancaire.
Le vendeur cède ses droits – immobiliers ou autres – et se réserve la faculté de reprendre la chose vendue, moyennant la restitution du prix, des frais et réparations nécessaires payés par l’acquéreur, avec intérêts. Il s’agit d’une vente sous condition résolutoire potestative.
Le prix de cession est généralement fortement décoté compte tenu des conditions spécifiques.
Si le vendeur n’exerce pas la faculté de résoudre la vente, l’investisseur aura fait une bonne affaire.
Si le vendeur exerce la faculté, l’investisseur récupèrera sa mise avec un taux d’intérêt souvent important.
L’opération peut par exemple permettre à un chef d’entreprise en difficulté de se renflouer, redresser son activité, puis accéder à nouveau au crédit pour récupérer son immobilier d’exploitation.
La faculté de résoudre la vente ne peut être stipulée pour un terme excédant cinq années.
L’analyse de la nature du droit du vendeur a animé la doctrine depuis le 19ème siècle : droit réel ou droit personnel ?
Doctrine majoritaire et jurisprudence – Cass. com., 20 nov. 2007 : Bull. civ. IV, n° 250, notamment – considèrent qu’il s’agit d’un droit de créance, donc d’un droit personnel.
C’est ce que la Cour suprême confirme en l’espèce : cette faculté est une action personnelle découlant des conditions contractuelles, et non pas une action en revendication immobilière imprescriptible. Elle est donc soumise à la prescription quinquennale.
Aucun formalisme n’est imposé pour l’exercice de la faculté de résoudre la vente, dès lors qu’un écrit est notifié à l’acquéreur.
En l’espèce, le vendeur avait bien notifié son intention d’exercer la faculté de rachat dans le délai de 5 ans.
Mais pour produire effet, l’exercice de la faculté de rachat doit être régulier.
La déclaration de volonté d’exercer le réméré doit être sincère et sérieuse, c’est-à-dire suivie du versement de la somme à l’acquéreur initial – Cass. com., 2 juin 1992 : Bull. civ. IV, n° 218 – Cass. req., 19 oct. 1904 : DP 1907, 1, p. 426 – et c’est précisément ce qui faisait défaut en l’espèce.