Une personne consent un bail à une société dont son beau-frère est le directeur général. Dans quelle mesure s’agit-il d’une convention règlementée ? La Cour de cassation précise les choses.
La décision
En 2007, Mme V, propriétaire indivise avec son époux d’un local à usage de bureaux, consent un bail au profit de la société CNP Capeor, représentée par son directeur général, par ailleurs son beau-frère.
En 2021, ledit beau-frère est révoqué de son mandat social et licencié. Mme V assigne le locataire en résiliation de bail, paiement d’un arriéré de loyers et fixation d’une indemnité d’occupation.
Le locataire obtient reconventionnellement la nullité du bail pour non-respect de la procédure relative aux conventions réglementées – CA Nancy 26 mai 2021.
Mme V forme un pourvoi au motif notamment que la seule existence d’un lien familial ne suffit pas à caractériser un intérêt, même indirect, du directeur général pour la convention passée avec sa société.
La Cour de cassation – Chambre civile 3, 30 novembre 2022, 21-20.910, Inédit – la déboute :
« … la cour d’appel a énoncé à bon droit que l’article L. 225-38 du code de commerce, qui soumet à l’autorisation préalable du conseil d’administration certaines conventions conclues par les dirigeants, administrateurs ou actionnaires significatifs, avaient pour but d’éviter les conflits d’intérêts entre la société et ceux-ci.
Elle a exactement relevé que ces dispositions étaient applicables aux conventions auxquelles une des personnes visées par ce texte était indirectement intéressée. »
S’en suit l’analyse des conditions du bail manifestement conclues en faveur des intérêts des personnes concernées et au détriment de la société.
« … Elle a pu en déduire que la convention litigieuse, qui avait eu pour effet de faire supporter à la société preneuse un loyer surélevé tant au regard du marché qu’en raison de la surface dont celle-ci avait la jouissance exclusive, au seul profit de la belle-soeur et du frère du directeur général, avait eu des conséquences préjudiciables pour la société Ycap Partners et en prononcer, en conséquence, la nullité.
Elle a, ainsi, légalement, justifié sa décision. »
Décryptage
Les conventions conclues entre une société et l’un de ses dirigeants, voire actionnaires, doivent être surveillées :
- Soit elles portent sur des opérations courantes conclues à des conditions normales. Ce sont alors des conventions libres. Le patron de TOTAL peut « faire son plein » sans prévenir le conseil d’administration.
- Soit elles portent sur des opérations interdites : emprunter de l’argent à la société ou la faire se porter garante de ses propres engagements.
- Soit elles ne sont ni libres ni interdites. Elles sont alors réglementées et obéissent à une procédure dépendant directement de la forme sociale.
Le bail consenti n’était ni une convention interdite, ni une convention libre, en raison notamment des conditions du bail.
En effet, la surface mentionnée sur le contrat de bail ne correspondait pas à un usage exclusif au bénéfice de celle-ci, ce dont il résultait que le loyer était anormalement élevé.
La surface à usage non exclusif était partagée avec une entreprise, dans laquelle le frère du dirigeant, coindivisiaire du bien donné en location, exerçait son activité.
Il en résultait que le directeur général de la société locataire avait manifestement privilégié les intérêts de sa famille, ayant ainsi caractérisé la nature de l’intérêt personnel que celui-ci avait indirectement tiré de la convention, laquelle relevait, par conséquent, du régime des conventions réglementées.
Cet arrêt permet d’illustrer la notion de « personne indirectement intéressée » qui peut donc consister en privilégier les intérêts de sa famille.
La procédure en présence d’une convention règlementée dépend de la forme sociale, de même que la sanction en cas de non-respect :
– pour les SA, les conventions conclues sans autorisation préalable du conseil peuvent être annulées mais seulement si elles ont eu des conséquences dommageables pour la société. La nullité peut être couverte par un vote de l’assemblée générale intervenant sur rapport spécial du CAC.
– pour les autres sociétés, le défaut d’approbation de l’assemblée générale est sans effet sur la validité de celle-ci. La seule sanction est alors l’obligation pour les intéressés de supporter seuls les conséquences dommageables que peut avoir cette convention pour la société.
En SA, à défaut d’autorisation préalable du conseil d’administration, la convention peut donc être annulée. L’analyse se fait en deux temps :
– caractériser l’entrée dans le champ d’application des conventions réglementées (article L225-38 du Code de commerce) : il s’agissait ici de l’intéressement indirect du dirigeant ;
– caractériser les conséquences dommageables pour la société (article L225-42 du Code de commerce) : le préjudice résultait ici du loyer surélevé tant au regard du marché qu’en raison de la surface dont la société preneuse avait la jouissance exclusive.
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