Le marchand de biens qui revend des terrains à bâtir après division d’une propriété bâtie peut-il opter pour la TVA sur la marge ?
Le Conseil d’Etat tranche enfin.
Rappels
Lorsque le vendeur d’un terrain à bâtir (au sens de la TVA) est un assujetti à la TVA et qu’il agit en tant que tel, la vente est imposable de plein droit à la TVA :
- sur le prix total si l’achat a ouvert droit à déduction,
- sur la marge si l’achat n’a pas ouvert droit à déduction ET sous réserve que le bien vendu soit identique au bien acquis sur un plan juridique.
L’administration impose en effet une condition d’identité « juridique » entre le bien cédé et le bien acquis :
- Si le bien cédé est un terrain à bâtir, il doit avoir été acquis comme « terrain n’ayant pas le caractère d’immeuble bâti », (opération imposable de plein droit)
- Si le bien cédé est un immeuble achevé depuis plus de 5 ans, il doit avoir été acquis en l’état d’immeuble déjà bâti (opération imposable sur option).
En outre, il était également exigé par l’administration une condition d’identité « physique » laquelle couvre notamment l’absence de modification des superficies, jusqu’à ce qu’elle soit déjugée par diverses réponses ministérielles (RM Vogel 17 mai 2018 ; RM Mignola 12 juin 2018 ; RM Falorni 24 septembre 2019).
Les juges du fonds avaient tendance à rejeter cette condition « supplémentaire » d’identité considérant que l’application de la TVA sur la marge aux livraisons de terrains à bâtir est conditionnée au seul fait que l’acquisition par le cédant n’ait pas ouvert droit à déduction de la taxe lors de son acquisition. (TA Grenoble 14-11-2016 ; TA Montpellier 04-12-2017 ; CAA Lyon 20-12-2018 n° 17LY03359 ; CAA Lyon 25-6-2019 n° 18LY00671).
Restait à savoir si la condition d’identité juridique serait infirmée ou confirmée le Conseil d’Etat.
Validation par le Conseil d’Etat
Dans un arrêt du 27 mars 2020 n° 428234 « Promialp », les 8ème et 3ème Chambres réunies du Conseil d’Etat confirment la doctrine administrative :
« …
les règles de calcul dérogatoires de la taxe sur la valeur ajoutée …
s’appliquent aux opérations de cession de terrains à bâtir qui ont été acquis
en vue de leur revente et ne s’appliquent donc pas à une cession de terrains à
bâtir qui, lors de leur acquisition, avaient le caractère d’un terrain bâti,
quand le bâtiment qui y était édifié a fait l’objet d’une démolition de la part
de l’acheteur-revendeur. »
L’histoire touche donc à sa fin 10 ans plus tard.
Quelques mois après la grande réforme de 2010, les professionnels avaient tous été surpris de découvrir cette peau de banane inattendue.
Cette décision a le mérite de clarifier la situation, même si en raison de cette condition d’identité juridique, les marchands de biens sont contraints d’acquérir des propriétés déjà subdivisées, ce qui soulève d’autres problématiques :
- en matière de plus-value s’il s’agit de la résidence principale du vendeur,
- en cas d’achat d’un immeuble bâti destiné à être démoli et revendu en terrain à bâtir.
Notre tableau de synthèse reste donc valable :
Conseil
d’État
N° 428234
ECLI:FR:CECHR:2020:428234.20200327
Mentionné dans les tables du recueil Lebon
8ème – 3ème chambres réunies
M. Jean-Marc Vié, rapporteur
Mme Karin Ciavaldini, rapporteur public
SCP WAQUET, FARGE, HAZAN, avocats
lecture du vendredi 27 mars 2020
REPUBLIQUE
FRANCAISE
AU NOM DU PEUPLE FRANCAIS
Texte intégral
Vu la procédure suivante :
La société à responsabilité limitée (SARL) Promialp a demandé au tribunal
administratif de Grenoble de prononcer la réduction, à concurrence de 121 147
euros, des rappels de taxe sur la valeur ajoutée mis à sa charge au titre de la
période du 1er octobre 2010 au 30 septembre 2012 et des pénalités
correspondantes. Par un jugement n° 1504042 du 29 juin 2017, ce tribunal a
prononcé la décharge de ces impositions à concurrence de 85 777 euros et rejeté
le surplus de la demande.
Par un arrêt n° 17LY03359 du 20 décembre 2018, la cour administrative d’appel
de Lyon a rejeté l’appel formé par la société Promialp et l’appel incident
formé par le ministre contre ce jugement.
Par un pourvoi, enregistré le 20 février 2019 au secrétariat du contentieux du
Conseil d’Etat, le ministre de l’action et des comptes publics demande au
Conseil d’Etat d’annuler l’article 2 de cet arrêt.
Vu les autres pièces du dossier ;
Vu :
– la directive 2006/112/CE du 28 novembre 2006 ;
– le code général des impôts et le livre des procédures fiscales ;
– la loi n° 2010-237 du 9 mars 2010 ;
– le code de justice administrative ;
Après avoir entendu en séance publique :
– le rapport de M. Jean-Marc Vié, maître des requêtes,
– les conclusions de Mme Karin Ciavaldini, rapporteur public ;
La parole ayant été donnée, avant et après les conclusions, à la SCP Waquet,
Farge, Hazan, avocat de la société Promialp ;
Considérant ce qui suit :
1. Il ressort des pièces du dossier soumis aux juges du fond que la société
Promialp, qui exerce une activité de marchand de biens et de lotisseur, a
procédé à la cession de sept parcelles situées sur le territoire de la commune
de Gières (Isère), dont six terrains à bâtir, résultant de la division d’une
parcelle unique sur laquelle était édifiée, à la date de l’acquisition, un
immeuble d’habitation que la société a fait démolir préalablement à la division
et à la vente. Elle a, dans les déclarations qu’elle a souscrites au titre de
la taxe sur la valeur ajoutée, estimé pouvoir faire application à ces
opérations du régime de la taxe sur la valeur ajoutée sur la marge.
2. Il ressort également des pièces du dossier soumis aux juges du fond que, par
actes des 17 janvier 2011 et 24 avril 2012, la société Promialp a cédé deux
terrains à bâtir situés sur le territoire de la commune de Claix (Isère) issus
de la division d’un unique terrain à bâtir qu’elle avait acquis en 2009 sans
que cette acquisition ne soit soumise à la taxe sur la valeur ajoutée. Les actes
de vente relatifs à ces opérations mentionnaient une taxe sur la valeur ajoutée
calculée sur la totalité du prix de vente. Estimant toutefois que le régime de
la taxe sur la valeur ajoutée sur la marge était applicable à ces opérations,
la société n’a reversé au Trésor que la fraction de la taxe mentionnée dans les
actes qui correspondait à l’application du régime de la marge.
3. Il ressort enfin des pièces du dossier soumis aux juges du fond que la
société a fait l’objet d’une vérification de comptabilité portant sur la
période du 1er octobre 2010 au 31 décembre 2013, à l’issue de laquelle des
rappels de taxe sur la valeur ajoutée ont été mis à sa charge, procédant
notamment, d’une part, de la remise en cause du régime de la taxe sur la valeur
ajoutée sur la marge appliqué à la cession des terrains à bâtir situés à Gières
et, d’autre part, de la mise en recouvrement de la différence entre la taxe sur
la valeur ajoutée mentionnée dans les actes de cession des terrains à bâtir
situés à Claix et celle qui avait été reversée au Trésor par la société. Par un
jugement du 29 juin 2017, le tribunal administratif de Grenoble a fait droit
aux conclusions en décharge de la société relative au premier de ces deux chefs
de rectification mais a rejeté ses conclusions relatives au second. Par un
arrêt du 20 décembre 2018, la cour administrative d’appel de Lyon a rejeté,
d’une part, l’appel formé par la société contre le jugement, en tant qu’il a
rejeté ses conclusions relatives aux opérations de cession des terrains situés
à Claix et, d’autre part, l’appel incident formé par le ministre contre ce même
jugement, en tant qu’il a accordé à la société la décharge des impositions
relatives à la cession des terrains situés à Gières.
4. Le ministre se pourvoit en cassation contre cet arrêt, en tant qu’il a
rejeté son appel incident. La société demande, par la voie du pourvoi incident,
l’annulation de l’arrêt en tant qu’il a rejeté son appel contre le jugement, en
tant qu’il a statué sur la taxe sur la valeur ajoutée due à raison de la
cession des terrains situés à Claix.
Sur le pourvoi du ministre de l’action et des comptes publics :
5. Le I de l’article 257 du code général des impôts dans sa rédaction
applicable, issue de l’article 16 de la loi du 9 mars 2010 de finances rectificative
pour 2010, prévoit que les opérations concourant à la production ou à la
livraison d’immeubles, lesquelles comprennent les livraisons à titre onéreux de
terrains à bâtir, sont soumises à la taxe sur la valeur ajoutée. En vertu du 2
du b de l’article 266 du même code, l’assiette de la taxe est en principe
constituée par le prix de cession.
6. L’article 392 de la directive du Conseil du 28 novembre 2006 relative au
système commun de taxe sur la valeur ajoutée dispose toutefois que : » Les
États membres peuvent prévoir que, pour les livraisons de bâtiments et de
terrains à bâtir achetés en vue de la revente par un assujetti qui n’a pas eu
droit à déduction à l’occasion de l’acquisition, la base d’imposition est
constituée par la différence entre le prix de vente et le prix d’achat « .
L’article 268 du code général des impôts, pris pour la transposition de ces
dispositions, prévoit, dans sa rédaction également issue de l’article 16 de la
loi du 9 mars 2010 de finances rectificative pour 2010, que : » S’agissant
de la livraison d’un terrain à bâtir (…), si l’acquisition par le cédant n’a
pas ouvert droit à déduction de la taxe sur la valeur ajoutée, la base
d’imposition est constituée par la différence entre : / 1° D’une part, le prix
exprimé et les charges qui s’y ajoutent ; / 2° D’autre part, selon le cas : / –
soit les sommes que le cédant a versées, à quelque titre que ce soit, pour
l’acquisition du terrain(…); / – soit la valeur nominale des actions ou parts
reçues en contrepartie des apports en nature qu’il a effectués. « .
7. Il résulte de ces dernières dispositions, lues à la lumière de celles de la
directive dont elles ont pour objet d’assurer la transposition, que les règles
de calcul dérogatoires de la taxe sur la valeur ajoutée qu’elles prévoient
s’appliquent aux opérations de cession de terrains à bâtir qui ont été acquis
en vue de leur revente et ne s’appliquent donc pas à une cession de terrains à
bâtir qui, lors de leur acquisition, avaient le caractère d’un terrain bâti,
quand le bâtiment qui y était édifié a fait l’objet d’une démolition de la part
de l’acheteur-revendeur.
8. Il suit de là que la cour administrative d’appel a commis une erreur de
droit en jugeant qu’il résultait des dispositions des articles 268 du code
général des impôts et 392 de la directive du 28 novembre 2006 que le bénéfice
du régime de la taxe sur la valeur ajoutée sur la marge était subordonné à la
seule condition que l’acquisition du bien cédé n’ait pas ouvert droit à
déduction de la taxe et en jugeant sans incidence sur sa mise en oeuvre la
circonstance que les caractéristiques physiques et la qualification du bien en
cause aient été modifiées entre son acquisition et sa vente.
9. Par suite, le ministre de l’action et des comptes publics est fondé à
demander, pour ce motif, l’annulation de l’article 2 de l’arrêt attaqué.
Sur le pourvoi incident de la société Promialp :
10. Postérieurement à l’introduction du pourvoi incident de la société
Promialp, le ministre de l’action et des comptes publics a prononcé, le 9 mars
2020, le dégrèvement des rappels de la taxe sur la valeur ajoutée afférente à
la vente des deux terrains à bâtir situés sur le territoire de la commune de
Claix mis à la charge de la société. Les conclusions du pourvoi incident étant
ainsi devenues sans objet, il n’y a pas lieu d’y statuer.
11. Il n’y a pas lieu, dans les circonstances de l’espèce, de faire droit aux
conclusions présentées par la société Promialp au titre des dispositions de
l’article L. 761-1 du code de justice administrative.
D E C I D E :
————–
Article 1er : Il n’y a pas lieu de statuer sur les conclusions du pourvoi
incident de la société Promialp relatif aux rappels de taxe sur la valeur
ajoutée afférente à la vente de deux terrains à bâtir situés sur le territoire
de la commune de Claix.
Article 2 : L’article 2 de l’arrêt du 20 décembre 2018 de la cour
administrative d’appel de Lyon est annulé.
Article 3 : L’affaire est renvoyée, dans cette mesure, à la cour administrative
d’appel de Lyon.
Article 4 : Les conclusions présentées par la SARL Promialp au titre des
dispositions de l’article L. 761-1 du code de justice administrative sont
rejetées.
Article 5 : La présente décision sera notifiée au ministre de l’action et des
comptes publics et à la société à responsabilité limitée Promialp.