Le fait que les opérations réalisées par une société soient financées principalement par « apport » en compte courant d’associé rend-il la société fictive ? La Cour de cassation se prononce.
La décision
De 2010 à 2013, M. S était associé majoritaire et gérant de la société civile immobilière et financière Saint-Germain (la SCI), laquelle a acquis le 22 juin 2010 plusieurs lots d’un immeuble en copropriété. En mars 2013, M. S a apporté ses parts dans la SCI à une autre société dont il détenait l’intégralité des parts, lesquelles ont ensuite été apportées à la société ING Life Luxembourg.
Le 31 décembre 2014, a été mise en recouvrement la somme de 21.419.107,25 euros, due par M. S en suite d’un redressement au titre de son imposition sur les revenus des années 2004 à 2010.
L’administration a assigné M. S et la SCI aux fins de voir constater le caractère fictif de la propriété de la SCI sur les droits et biens immobiliers acquis le 22 juin 2010 et voir déclarer M. S véritable propriétaire de ces biens.
La Cour d’appel (CA Paris, 11 Janvier 2021, n° 18/26735) approuve l’administration :
« Ce faisceau d’éléments a permis d’établir que la partie du prix d’acquisition versée comptant, les échéances du prêt immobilier et les dépenses occasionnées par les travaux d’intérieur, ont été réglées avec les deniers personnels de M. S, qui s’avère être le véritable propriétaire des biens. »
M. S et la SCI se pourvoient en cassation invoquant que la simulation ne se présume pas et que le financement d’une acquisition immobilière par une société civile immobilière peut être réalisé en tout ou partie par des apports en comptes courants de ses associés, sans que cela établisse une quelconque opération de simulation et ce d’autant plus lorsqu’une partie des sommes ainsi apportées est rétrocédée à l’associé qui en a fait l’apport.
La Cour de cassation (Cass. civ. 3, 21 septembre 2022, n° 21-11.372 21-11.676, Inédit) casse l’arrêt d’appel :
« 14. Pour déclarer M. [S] véritable propriétaire des droits et biens immobiliers acquis par la SCI, l’arrêt retient que les sommes versées sur le compte de la SCI par M. [S] ont permis à celle-ci de régler la partie du prix d’acquisition versée comptant, les deux premières annuités des prêts immobiliers qu’elle avait souscrits pour financer cette acquisition ainsi que les travaux d’intérieur et que le volume des opérations constatées sur le compte de la SCI entre 2010 et 2015 est sans commune mesure avec une activité de location.
15. En se déterminant ainsi, par des motifs qui ne suffisent pas à établir que la SCI ne serait pas le véritable acquéreur des biens immobiliers, la cour d’appel n’a pas donné de base légale à sa décision. »
Pour consulter la décision :
Décryptage
L’administration fiscale, pour obtenir plus facilement le règlement des sommes dues par M. S, a exercé une action en déclaration de simulation afin de faire constater que les biens immobiliers détenus par la SCI, elle-même détenue par diverses sociétés, étaient en fait la propriété de M. S.
Pour ce faire elle invoque les modalités de financement de l’acquisition des biens par la SCI :
Les biens immobiliers ont été financés :
- Pour partie comptant : la somme a été « apportée » en compte courant d’associé par M. S ;
- Pour partie par financement bancaire : les premières annuités d’emprunt ont été remboursés au moyen de sommes « apportées » en compte courant d’associé par M. S.
En outre, la SCI a fait réaliser des travaux, lesquels ont été financés au moyen de sommes « apportées » en compte courant d’associé par M. S.
De ces modalités de financement, l’administration considère que l’associé qui a apporté les sommes en courant est le véritable propriétaire des biens financés.
La Cour de cassation considère que le simple fait que le financement ait été effectué au moyen de compte courant d’associé ne suffit pas à établir la fictivité de la société.
Certes, cet arrêt n’est pas publié au bulletin mais ce n’est pas la première fois que la Cour de cassation prend cette position.
Voir notamment : Cass. com., 25 juin 1996, n° 93-11.264, Publié au bulletin :
Ne donne pas de base légale à sa décision la cour d’appel qui, pour étendre à une société civile immobilière, la procédure collective ouverte à l’égard d’une société à responsabilité limitée retient, notamment, que des liens étroits existaient entre les deux sociétés par l’identité de leur siège social et de leurs dirigeants et que la SARL n’a été créée que pour » abriter » un actif immobilier entièrement consacré aux besoins de la SARL et de son gérant, dirigeant de fait de la société civile immobilière, dont il assurait la quasi-totalité du financement par l’apport qu’il lui avait fait en compte courant, de tels motifs étant impropres à établir la fictivité ou la confusion des patrimoines de ces deux personnes morales.