La validité de la garantie de la dette d’un tiers par une société civile nécessite la conformité à l’intérêt social. La Cour de cassation vient préciser cette notion dans une décision récente.
La décision
Une SCI s’engage en qualité de caution, avec affectation hypothécaire du bien immobilier lui appartenant, en garantie du remboursement d’un prêt souscrit par une autre société, laquelle est placée en liquidation judiciaire 3 ans après.
Le prêteur fait délivrer à la SCI un commandement de payer valant saisie immobilière de son bien donné en sûreté puis l’assigne devant le juge de l’exécution pour voir ordonner la vente du bien aux enchères.
La Cour d’appel – Saint-Denis 27 août 2021 – prononce la nullité du « cautionnement hypothécaire », comme étant contraire à l’intérêt social.
Le prêteur forme un pourvoi, invoquant notamment qu’une sûreté réelle consentie par une SCI en garantie de la dette d’un tiers n’est pas contraire à l’intérêt social si sa réalisation n’a pas pour effet de faire disparaître le patrimoine social, et de compromettre l’existence de la société ; que tel est le cas si le montant de la dette garantie est inférieur à la valeur du bien immeuble donné en sûreté, de telle sorte que la société pourrait réinvestir le reliquat lui revenant après la vente.
La Cour de cassation – Cass. civ. 3, 13 avril 2023, n° 21-24.196, Inédit – rejette le pourvoi :
« 6. La cour d’appel a énoncé à bon droit, que, pour être valide, la sûreté accordée par une société en garantie de la dette d’un tiers devait être conforme à son objet social ou résulter d’une communauté d’intérêt avec la personne cautionnée ou avoir été adoptée par une décision unanime des associés, et devait en outre être conforme à l’intérêt social, impliquant que le risque pour elle soit proportionné au bénéfice qu’elle pouvait escompter de l’opération garantie.
7. Elle a retenu, que, si l’ensemble des associés de la SCI avait approuvé le cautionnement litigieux par délibération du 5 novembre 2014, la société avait ainsi engagé à titre de sûreté hypothécaire son seul bien sans aucune contrepartie attendue de l’opération financée et que, si le cautionnement avait été limité à une somme inférieure à la valeur du bien hypothéqué, la sûreté consentie appréhendait le bien en son ensemble et faisait peser un risque de perte de la totalité de ce bien en cas de réalisation de la garantie.
8. Elle a pu déduire de ces seuls motifs qu’en consentant la sûreté au profit de la société Digicam, la SCI avait conclu un acte contraire à son intérêt social de nature à compromettre son existence, et a ainsi légalement justifié sa décision. »
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Décryptage
Pour qu’une société civile puisse valablement garantir la dette d’un tiers, la jurisprudence a posé deux conditions cumulatives :
- 1ère condition : au choix : soit l’opération est conforme à son objet social, soit il existe une communauté d’intérêts entre la société et le débiteur, soit l’opération résulte d’une décision unanime des associés ;
- 2ème condition : conformité à l’intérêt social.
En l’espèce, la 1ère condition ne faisait pas débat, l’ensemble des associés de la SCI ayant approuvé le cautionnement litigieux par délibération antérieure.
C’était la conformité à l’intérêt social qui était en cause.
Le prêteur soutenait que le montant garanti étant inférieur au montant de l’actif donné en garantie, l’existence de la société n’était pas compromise.
Il est vrai que la Cour de cassation a déjà admis que le fait que le bien donné en garantie soit le seul actif de la SCI ne rend pas automatique la contrariété à l’intérêt social pour « mise en péril de la société », dès lors qu’au moment de la constitution de la garantie la valeur du bien était largement supérieure au montant garanti.
Toutefois, la Cour de cassation approuve la Cour d’appel d’avoir retenu que la conformité à l’intérêt social impliquait que le risque pour la société soit proportionné au bénéfice qu’elle pouvait escompter de l’opération garantie.
Le fait que le cautionnement ait été limité à une somme inférieure à la valeur du bien hypothéqué n’est pas suffisant. Il est relevé en l’espèce que la SCI n’attendait aucune contrepartie de l’opération financée.
La notion de conformité à l’intérêt social se dessine peu à peu. Il semble que cette condition implique :
– que la SCI trouve un intérêt dans l’octroi de la garantie ;
– que le montant garanti ne soit pas supérieur aux actifs de la SCI ;
– et qu’il existe une proportionnalité entre le risque et le bénéfice que la SCI peut escompter de l’opération garantie.
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