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LA CESSION D’ACTIFS PAR UNE SOCIETE A UN PRIX MINORE EST-ELLE UN ACTE ANORMAL DE GESTION ?

Une holding cède des titres de participation qu’elle détient dans une filiale au profit de son directeur commercial, à un prix anormalement bas. L’administration fiscale y voit un acte anormal de gestion. Le Conseil d’Etat tranche.

La décision

En mars 2009, la holding SARL ALONE & Co consent au profit du directeur commercial de l’une de ses filiales, une promesse de vente d’actions de ladite filiale au prix de 1€ l’action, pour une durée de 5 ans. L’acquéreur lève l’option en février 2011, et les revend le même jour au prix unitaire de 3,838 € à une autre filiale contrôlée majoritairement par la même holding.

L’administration réagit et requalifie la différence de prix en libéralité. A ce titre, elle réintègre dans les bénéfices de la holding une somme correspondant au gain réalisé par le directeur commercial soit 2,838 € par action, et lui réclame l’IS à due concurrence.

Par un arrêt du 15 avril 2021, la CAA de NANTES déboute la société ALONE & CO de ses réclamations.

Cette dernière ne conteste pas avoir cédé les actions à un prix significativement inférieur à la valeur vénale en 2011, mais assure qu’elle y était tenue en vertu de la promesse, et qu’elle avait pris cet engagement dans son propre intérêt, dans le but d’inciter l’acquéreur à développer le chiffre d’affaires, ce dont il résulterait une valorisation de sa propre participation.

L’administration n’entend pas ces arguments. Selon elle, l’accroissement de valeur était indépendant de l’action du directeur commercial, et rien ne justifiait dans la promesse les engagements invoqués.

Dans un arrêt 8ème et 3ème chambres réunies n°453016 du 11 mars 2022, le Conseil d’Etat tranche :

« … la seule circonstance que M. G… ne fut pas salarié de la société Alone et Co n’était pas de nature à faire obstacle à ce que cette société trouvât, eu égard aux conséquences qu’elle pouvait en attendre sur la valorisation de sa participation …, un intérêt propre à inciter l’intéressé au développement de cette société dont il était, comme il a été dit, le directeur commercial. Il résulte par ailleurs de l’instruction que les compétences de M. G… et son expérience commerciale dans la vente de préparations culinaires auprès de restaurants, segment d’activité sur lequel la société …  avait axé son développement, étaient de nature à lui permettre, par son implication particulière, d’obtenir un accroissement important du chiffre d’affaires de cette société et, par suite, de la valeur de ses titres. En outre, quand bien même la promesse de vente en litige ouvrait à M. G… la possibilité d’exercer son droit d’option à tout moment pendant une période de cinq ans et n’était pas subordonnée à des engagements de sa part, il résulte de l’instruction, d’une part, que le prix de 1 euro qu’elle fixait pouvait être regardé comme proche de la valeur vénale des titres à la date à laquelle elle a été consentie et, d’autre part, que les perspectives de croissance de l’activité de la société ne présentait aucun caractère certain, de sorte que cette promesse était de nature à avoir, à l’égard de M. G…, un réel effet incitatif.

Il résulte de l’ensemble de ce qui précède que le ministre n’établit pas que les contreparties que la société Alone et Co a retirées de la promesse de vente consentie à M. G… seraient inexistantes ou insuffisantes au regard de l’avantage consenti à ce dernier, de sorte que la société aurait, en concluant cette promesse, commis un acte anormal de gestion. La société requérante est par suite fondée à soutenir que c’est à tort que, par le jugement attaqué, le tribunal administratif de Rennes a rejeté sa demande tendant à la décharge des cotisations supplémentaires d’impôt sur les sociétés auxquelles elle a été assujettie au titre des années 2011 et 2012, ainsi que des pénalités correspondantes. »

https://www.legifrance.gouv.fr/ceta/id/CETATEXT000045340482?juridiction=CONSEIL_ETAT&juridiction=COURS_APPEL&juridiction=TRIBUNAL_ADMINISTATIF&juridiction=TRIBUNAL_CONFLIT&page=1&pageSize=10&query=453016&searchField=ALL&searchType=ALL&sortValue=DATE_DESC&tab_selection=cetat

Décryptage

L’arrêt rappelle la définition de l’acte anormal de gestion :

« En vertu des dispositions combinées des articles 38 et 209 du code général des impôts, le bénéfice imposable à l’impôt sur les sociétés est celui qui provient des opérations de toute nature faites par l’entreprise, à l’exception de celles qui, en raison de leur objet ou de leurs modalités, sont étrangères à une gestion normale. Constitue un acte anormal de gestion l’acte par lequel une entreprise décide de s’appauvrir à des fins étrangères à son intérêt. »

Il rappelle également que l’administration n’a pas à se prononcer sur l’opportunité des choix de gestion opérés par l’entreprise.

Il relève que, même en cas de cession réalisée à un prix significativement inférieur à la valeur vénale, le caractère anormal de l’acte de cession n’est pas prouvé si l’appauvrissement qui en est résulté a été décidé dans l’intérêt de l’entreprise :

  • soit que celle-ci se soit trouvée dans la nécessité de procéder à la cession à un tel prix,
  • soit qu’elle en ait tiré une contrepartie.

La preuve d’un acte anormal de gestion nécessite pour l’administration d’établir un écart significatif du prix par rapport à la valeur vénale. Reste ensuite à déterminer si l’appauvrissement en résultant est, ou non, dans l’intérêt de la société.

En l’espèce, il était bien établi un écart de valeur significatif entre le prix auquel la cession a été réalisée en 2011 et la valeur vénale des titres à la même époque, ce qui n’avait pas été contesté par la société. Il s’agissait donc de combattre la « présomption d’anormalité ».

Le Conseil d’Etat estime que la Cour d’appel a commis une erreur de droit en ne recherchant pas si la société avait agi conformément à son intérêt, compte tenu des avantages résultant de l’implication complémentaire qu’elle pouvait attendre, du fait de l’option d’achat qu’elle lui attribuait, de ce cadre dirigeant de la société dont elle détenait les titres.

 Puis, il règle l’affaire au fond, rejetant l’acte anormal de gestion en relevant notamment :

  • le fait que le bénéficiaire de la promesse ne soit pas salarié de la société mais seulement salarié d’une de ses filiales n’empêche pas la société de trouver un intérêt,
  • les compétences et l’expérience du directeur commercial étaient de nature à lui permettre, par son implication particulière, d’obtenir un accroissement important du chiffre d’affaires de la société et, par suite, de la valeur de ses titres.
  • le prix fixé dans la promesse pouvait être regardé comme proche de la valeur vénale des titres à la date à laquelle elle a été consentie et que les perspectives de croissance de l’activité de la société ne présentait aucun caractère certain, de sorte que cette promesse était de nature à avoir un réel effet incitatif.

A retenir : le Conseil d’Etat se place non pas à la date de la cession mais à la date de la promesse de cession pour apprécier le caractère anomal ou pas de l’acte.

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