Une mère usufruitière d’un bien immobilier en laisse la jouissance gratuite à son fils pendant 44 ans. A quelles conditions cet avantage constitue-t-il une donation indirecte sujette à rapport successoral ? La Cour de cassation se prononce.
La décision
Une femme décède en 2015, laissant pour lui succéder ses deux fils.
Des difficultés étant survenues lors du règlement de la succession, l’un des fils assigne son frère en partage. Il lui réclame le rapport d’une donation indirecte pour avoir occupé gratuitement un bien immobilier appartenant à leur mère pour l’usufruit et aux deux fils pour la nue-propriété, durant plus de 40 ans.
La Cour d’appel de POITIERS (4ème chambre civile), par un arrêt du 9 septembre 2020, condamne le frère à rapporter plus de 260.000 € à ce titre, la mère ayant subi un manque à gagner à défaut de location dudit logement.
Il se pourvoit en cassation aux motifs notamment :
- Que pour être rapportable, l’avantage indirect doit avoir causé un appauvrissement du de cujus. Or, les travaux requis pour rendre le bien louable auraient excédé la valeur locative. Dès lors, la mère n’avait pas subi de réel appauvrissement.
- Que le montant dû au titre du rapport ne peut excéder l’appauvrissement du de cujus. Qu’il y avait lieu de tenir compte de l’ensemble des réparations qui lui auraient incombé en sa qualité de bailleresse, ce qui incluait les grosses réparations.
La 1ère Chambre civile de la Cour de cassation, dans un arrêt n°20-20641 du 2 mars 2022, publié au bulletin, rejette le pourvoi :
- Il n’était pas démontré que cet immeuble n’était pas, à cette époque, en état d’être mis en location.
- Les travaux réalisés ne constituaient pas des charges locatives mais des grosses réparations incombant naturellement au nu-propriétaire et ne justifiant dès lors aucune créance contre l’usufruitier.
Les autres moyens du pourvoi ne sont pas traités ici.
Décryptage
Cette décision est intéressante en ce qu’elle traite d’une situation très fréquente : la jouissance gratuite d’un bien concédée par un parent à un enfant.
L’avantage indirect dont a bénéficié l’enfant constitue-t-il une donation rapportable ?
Pas toujours. Pour cela, encore faut-il que les éléments constitutifs d’une donation soient réunis :
- Un appauvrissement du donateur,
- Un enrichissement corrélatif du donataire,
- Une intention libérale.
Dans certaines situations, il est difficile pour le juge de distinguer les situations qui relèvent d’une réelle intention libérale, et celles qui relèvent simplement du prêt à usage ou commodat, des frais de première installation, ou encore de l’obligation alimentaire, …
Dans la décision ci-dessus, plusieurs facteurs concordants militaient en faveur de la qualification de donation indirecte : la durée de la jouissance gratuite (44 ans), le caractère mixte de l’occupation (habitation mais aussi professionnel), …
Ce qu’il faut retenir : ces situations extrêmement courantes sont difficiles à qualifier. Un raisonnement au cas par cas s’impose, sous le contrôle du juge.
Pour consulter la décision :