Un litige naît à la suite d’une cession de titres sociaux. La Cour d’appel condamne l’acquéreur à rembourser le compte courant d’associé du vendeur. La Cour de cassation réagit. Mais les principes retenus sont-ils aussi simples qu’ils en ont l’air ?
La décision
Un litige naît entre cédant et cessionnaire de titres sociaux.
La Cour d’appel – CA Paris 15 février 2022 – condamne les acquéreurs in solidum à verser aux vendeurs le montant correspondant au solde créditeur de leurs comptes courants d’associés.
Les acquéreurs forment un pourvoi au motif que les qualités d’associé et de prêteur étant indépendantes, la cession de titres n’emporte pas cession de compte courant à défaut de clauses contraires.
La Cour de cassation – Chambre civile 1, 27 septembre 2023, 22-15.146, Inédit – leur donne raison :
« Vu l’article 1134 du code civil, dans sa rédaction antérieure à celle issue de l’ordonnance n° 2016-131 du 10 février 2016 :
10. Aux termes de ce texte, les conventions légalement formées tiennent lieu de loi à ceux qui les ont faites.
11. Pour condamner in solidum M. [M] et Mme [D] au paiement de la somme de 63 070,95 euros à M. [R] [J], l’arrêt retient que c’est par de justes motifs, adoptés par la cour, que le tribunal après avoir rappelé les termes de la convention de cession du 19 juillet 2016 liant les parties a retenu que les motifs invoqués par les consorts [M] pour ne pas procéder au remboursement du compte courant d’associé auquel ils s’étaient engagés, à savoir les actes de concurrence déloyale dont il a été jugé qu’ils n’étaient pas établis, ne pouvaient être reçus pour s’opposer à ce paiement et les a condamnés en conséquence à verser à M. [J] la somme convenue.
12. En se déterminant ainsi, sans rechercher, comme il le lui était demandé, si en application de l’article 5 de la convention de cession des actions de la société Airmeex du 19 juillet 2016 entre M. [M] et Mme [D] (acquéreurs) et M. [J] (vendeur), le remboursement du compte courant d’associé détenu par ce dernier dans les livres de la société n’incombait pas uniquement à celle-ci, la cour d’appel a privé sa décision de base légale. »
Pour consulter la décision :
Décryptage
Cette décision n’est pas originale, mais elle est l’occasion de rappeler quelques notions et d’en relativiser la portée :
1ère notion : le compte courant est un contrat de prêt à durée indéterminée entre l’associé et la société ?
Cette affirmation, reprise par les parties dans leur pourvoi, d’apparence simple, correspond à la jurisprudence de la Cour de cassation. La question est en réalité plus subtile. L’existence d’une créance n’est pas discutable, mais celle de prêt est plus délicate.
2ème notion : les qualités d’associé et de créancier sont indépendantes ?
C’est sur ce fondement, qui correspond à la jurisprudence de la Cour de cassation, qu’il est constaté que l’acquéreur des titres n’est pas présumé acquéreur de la créance de compte courant que le vendeur détient contre la société, sauf stipulations contractuelles distinctes.
Pourtant là aussi, la question est plus subtile qu’elle ne paraît. Une partie de la doctrine rappelle que l’associé titulaire d’une créance de compte courant n’est toutefois pas un créancier comme un autre dans la mesure où l’affectio societatis peut limiter son droit naturel à réclamer le remboursement à tout moment, notamment si la société est vulnérable.
3ème notion : le compte courant d’associé n’est pas un compte courant ?
Le compte courant au sens juridique est un instrument de compensation issu de la pratique et défini par la doctrine comme étant « une convention par laquelle deux personnes affectent toutes leurs créances réciproques à un mécanisme de règlement instantané par fusion en un solde immédiatement disponible ». C’est pourquoi l’appellation de compte courant en l’espèce est trompeuse.
Nous préparons un nouveau fascicule relatif au compte courant d’associé comme outil de gestion et de transmission patrimoniale, afin d’aider les praticiens à mieux appréhender cette relation d’obligations plus complexe qu’elle ne paraît.