Une SCI exerce une saisie conservatoire sur les comptes bancaires d’une associée pour garantir le recouvrement d’un compte courant débiteur à son nom. La Cour de cassation se prononce.
La décision
A l’actif de la SCI « SIDE SHORE », apparaît un compte courant débiteur au nom de Mme F, associée à 49%, au titre de l’affectation des pertes de la société.
La SCI obtient du juge de l’exécution l’autorisation de pratiquer une saisie conservatoire sur les comptes détenus par Mme F dans une banque, en garantie de sa créance.
Mme F conteste.
La SCI fait grief à l’arrêt – CA de PARIS 24 septembre 2020 – de rétracter l’ordonnance du 28 mai 2019 et d’ordonner la mainlevée de la saisie conservatoire, alors « que le solde débiteur d’un compte courant d’associé, lequel s’analyse en un prêt, constitue une créance de la société contre l’associé débiteur, exigible à tout moment ; qu’en retenant, pour juger que la créance, cause de la mesure conservatoire litigieuse, était hypothétique, que « l’obligation des associés à répondre des dettes sociales (?) ne s’exerce qu’à l’égard des tiers » et que la contribution des associés « aux pertes de la société (?) s’effectue uniquement à la dissolution de la société et si l’actif ne permet pas de couvrir le passif », la cour d’appel a traité le solde débiteur du compte courant d’associée de Mme [F] comme un élément du passif social, lorsqu’il constituait une créance que la société Side Shore détenait contre elle et a ainsi méconnu la convention des parties et violé l’article 1134 du code civil, dans sa rédaction antérieure à l’ordonnance n° 2016-131 du 10 février 2016. »
La Cour de cassation – Civile, Chambre commerciale, 15 février 2023, 20-22.018, Inédit – la déboute : « Aux termes de l’article L. 511-1 du code des procédures civiles d’exécution, toute personne dont la créance paraît fondée en son principe peut solliciter du juge l’autorisation de pratiquer une mesure conservatoire sur les biens de son débiteur, sans commandement préalable, si elle justifie de circonstances susceptibles d’en menacer le recouvrement. La mesure conservatoire prend la forme d’une saisie conservatoire ou d’une sûreté judiciaire.
Il résulte de l’article 1832, alinéa 3, du code civil que, sauf stipulation contraire des statuts, la contribution des associés aux pertes de la société ne s’exécute qu’à la liquidation de la société, de sorte que le solde débiteur du compte courant d’un associé résultant de l’affectation des pertes de la société ne constitue une créance exigible qu’à la liquidation de la société.
La société Side Shore reconnaît expressément que le solde débiteur du compte courant d’associé de Mme [F] résulte de l’affectation des pertes de la société Side Shore aux comptes courants des associés.
Les statuts de la société Side Shore ne contiennent aucune disposition prévoyant une répartition des pertes entre associés en cours de vie sociale. La société Side Shore ne justifie donc d’aucune créance paraissant fondée en son principe. »
Décryptage
Les comptes courants d’associés traduisent l’existence d’une créance entre la société et l’associé. Si les comptes courants débiteurs sont généralement interdits dans les sociétés commerciales, ce n’est pas le cas dans les sociétés à risque illimité telles que les sociétés civiles. Lorsqu’il est débiteur, c’est l’associé qui doit de l’argent à la société, par exemple suite à l’affectation des pertes. Il pourrait dès lors sembler légitime que la société puisse préserver sa créance au moyen par exemple d’une saisie conservatoire à l’encontre de son débiteur.
Ca n’est pourtant pas possible selon la Cour suprême : la contribution aux pertes n’étant exigible à l’encontre des associés qu’à la dissolution de la société, à défaut de stipulation contraire dans les statuts, la créance ne peut faire l’objet d’une mesure conservatoire strictement réservée aux créances exigibles.
Cette solution ne s’applique que compte tenu de l’origine du solde débiteur (affectation des pertes) et en l’absence de clause statutaire prévoyant la contribution aux pertes avant la liquidation, ce qui rend la créance non exigible.
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