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LE CONCUBIN QUI PAIE PLUS QUE SA CONTRIBUTION AU FINANCEMENT IMMOBILIER PEUT-IL ETRE INDEMNISE EN CAS DE SEPARATION ?

La question se pose désormais, compte tenu de l’évolution récente de la jurisprudence. De quoi faire émerger une nouvelle pratique notariale à l’attention des couples non mariés et non Pacsés ?

La décision

Daniel et Sophie, qui vivaient en concubinage, ont édifié une maison d’habitation sur un terrain appartenant à la mère de cette dernière, Geneviève, qui, ensuite, en a donné la nue-propriété à sa fille.

Après leur séparation, Daniel assigne Sophie et Geneviève en paiement d’une indemnité sur le fondement des articles 552 et 555 du Code civil et de l’enrichissement sans cause, soutenant avoir réalisé la majeure partie des travaux de construction.

Par une décision du 20 janvier 2016, la Cour d’appel d’Aix en Provence le déboute.

Daniel forme un pourvoi. La 1ère Chambre civile de la Cour de cassation, par une décision n°16-14039 du 15 juin 2017, casse l’arrêt d’appel au motif que l’indemnisation de celui qui a concouru à la construction sur le terrain de son concubin n’est pas subordonnée au caractère exclusif de sa participation ; qu’en rejetant la demande de Daniel tendant à ce que Sophie soit condamnée à l’indemniser au motif adopté qu’il n’avait pas participé seul à l’édification de la construction quand l’article 555 du code civil ne subordonne pas la participation exclusive de Daniel à l’édification de l’ouvrage pour obtenir une indemnisation, la cour d’appel a violé le texte susvisé.

Statuant sur renvoi le 10 mai 2019, la Cour d’appel de Montpellier (3ème chambre A) suit la Cour suprême. C’est alors au tour de Sophie et Geneviève de former un pourvoi, reprochant à la Cour d’appel de ne pas avoir recherché si le financement de Daniel ne correspondait pas tout simplement à sa contribution aux dépenses courantes du couple. La 1ère Chambre civile, dans une décision n°20-22533 du 9 février 2022, casse l’arrêt d’appel :

Aux termes de l’article 555 du Code civil, lorsque les plantations, constructions et ouvrages ont été faits par un tiers et avec des matériaux appartenant à ce dernier, le propriétaire du fonds a le droit, soit d’en conserver la propriété, soit d’obliger le tiers à les enlever. Si le propriétaire du fonds préfère conserver la propriété des constructions, plantations et ouvrages, il doit, à son choix, rembourser au tiers, soit une somme égale à celle dont le fonds a augmenté de valeur, soit le coût des matériaux et le prix de la main-d’oeuvre estimés à la date du remboursement, compte tenu de l’état.

Aucune disposition légale ne règle la contribution des concubins aux charges de la vie commune, de sorte que chacun d’eux doit, en l’absence de volonté exprimée à cet égard, supporter les dépenses de la vie courante qu’il a engagées.

Pour ordonner une expertise afin de déterminer le montant de l’indemnité à laquelle Daniel peut prétendre pour sa participation à la construction de la villa, basée sur le coût des matériaux et le prix de la main d’oeuvre compte tenu de l’état actuel des constructions et ouvrages, l’arrêt retient que Daniel et Sophie ont participé ensemble à la construction, qu’ils ont obtenu le permis de construire à leurs deux noms et ont souscrit solidairement deux emprunts pour financer tout ou partie des travaux. Il ajoute que, s’il est avéré que Daniel a profité de la villa pendant plusieurs années, cette circonstance n’exclut pas la possibilité d’une indemnisation pour sa participation à la construction qui a constitué le logement de la famille.
En se déterminant ainsi, sans rechercher, comme il le lui était demandé, si la participation de Daniel à la construction de l’immeuble dont elle avait constaté qu’il avait constitué le logement de la famille ne relevait pas, au moins pour partie, de sa contribution aux dépenses de la vie courante, la cour d’appel a privé sa décision de base légale au regard des textes susvisés.

Que faut-il en retenir ?

Dans une décision n°19-26140 du 27 janvier 2021, qui concernait une problématique d’indemnisation d’un concubin ayant financé le remboursement d’un emprunt immobilier au-delà de son obligation, la même 1ère Chambre civile de la Cour de cassation avait précisé que ces règles s’effacent devant l’obligation d’aide matérielle que se doivent les partenaires de PACS. Les revenus de Monsieur étant cinq fois plus élevés que ceux de Madame, la prise en charge exclusive de l’emprunt par ce-dernier ne relevait que de l’aide matérielle que se doivent les partenaires de PACS en vertu de l’article 515-4 du Code civil.

https://www.resodinfo.fr/le-partenaire-de-pacs-qui-finance-seul-la-residence-principale-a-t-il-le-droit-detre-indemnise/

Le raisonnement peut se concevoir en présence d’un PACS, qui sous-entend plus qu’une simple volonté d’investir ensemble, quoique, de là à considérer que l’un des partenaires peut devenir propriétaire gratuitement simplement parce qu’il aurait besoin d’une aide matérielle … en tout cas, voilà les signataires de PACS prévenus.

Un tel raisonnement serait plus surprenant en matière de concubinage non assorti d’un PACS.

D’ailleurs, dans un arrêt Civ. 1ère n°08-19.739 du 20 janvier 2010, la Cour de cassation avait affirmé que le remboursement d’un emprunt immobilier est une dépense de conservation dont il doit être tenu compte lors de la liquidation de l’indivision. L’indivisaire qui a financé plus que la quote-part lui incombant doit être indemnisé.

Pourtant, la Cour de cassation a reconnu une « obligation naturelle de participation aux charges de ménage qu’implique une vie de couple » (Cass. 1re civ., 10 février 2016, n° 15-10.150). S’agissant d’une obligation naturelle, le débiteur n’est pas tenu de l’exécuter mais s’il le fait volontairement, il ne peut en obtenir la restitution (article 1302 du Code civil). 

En ce sens, dans une décision n°19-10477 du 2 septembre 2020, la 1ère chambre civile de la Cour de cassation avait déduit des circonstances que la participation de Monsieur au financement du logement de Madame représentait sa contribution aux dépenses de la vie courante, ce qui lui retirait tout possibilité de prétendre à une indemnisation. En l’espèce, la Cour d’appel avait noté que Monsieur versait à Madame 1.000 € par mois et qu’il évitait ainsi de payer un loyer par ailleurs.

Ce virage semble se confirmer à l’issue du marathon qui nous intéresse aujourd’hui.

Dans cette décision du 9 février 2022, la 1ère Chambre civile énonce clairement deux postulats :

  • Puisqu’aucune disposition légale ne règle la contribution des concubins aux charges de leur vie commune, à défaut de convention entre eux, chacun doit supporter les dépenses de la vie courante qu’il a engagées. Jusqu’ici, rien de surprenant.
  • Le concubin qui a contribué au financement d’un bien immobilier au-delà de sa quote-part dans l’indivision a droit à être indemnisé, à plus forte raison lorsqu’il n’est même pas partiellement propriétaire. Néanmoins, le juge saisi devra d’abord quantifier son obligation aux dépenses de la vie courante afin de l’imputer sur sa créance. C’est là que les choses se compliquent.

Voilà qui milite en faveur de l’intérêt pour l’établissement de conventions entre concubins non Pacsés.

Depuis quelques années, la pratique notariale a généralisé l’insertion au sein des actes d’achat, de clauses destinées à organiser les modalités de détermination des quotes-parts d’acquisition et de répartition du prix en cas de revente.

Cette pratique relevait déjà plus de la prévention du conflit, ADN du notaire, que du simple devoir de conseil.

Mais l’évolution de la jurisprudence laisse penser qu’il serait désormais légitime d’aller au-delà : proposer à chaque couple ne souhaitant ni se marier ni se Pacser, en tout cas pas au stade de l’acquisition en commun, de régulariser une convention qui permettra de traiter clairement l’ensemble des problématiques illustrées par les contentieux ci-dessus. Cette convention n’a pas sa place dans l’acte de vente – elle ne concerne pas le vendeur – et le notaire sera légitimement créancier d’une juste rémunération.

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