Un gérant de SCI contracte des actes au nom de la société mais dans son intérêt personnel, et à l’encontre des intérêts de la société. Ces actes sont-ils annulables dès lors qu’ils entrent dans le cadre de l’objet social ? La Cour de cassation se prononce.
La décision
En janvier 2004, une société civile est constituée par :
- Mme J, titulaire de 135 parts,
- Et M. B, titulaire de 15 parts et gérant.
La société se porte acquéreur d’un bien immobilier. En 2007, une banque lui consent un prêt relais de 384.000 € garanti par une affectation hypothécaire du bien.
Suite à des défauts de paiement, la banque engage une procédure de saisie en 2010.
Mme J, qui soutenait que les fonds avaient été détournés au profit de M. B, a été désignée en qualité de nouvelle gérante.
La SCI fait grief à la Cour d’appel – Aix en Provence Chambre 3-3 n° M 21-22.174 du 1er juillet 2021 – de rejeter sa demande la radiation de l’hypothèque et d’annulation du prêt, alors qu’une société civile immobilière n’est pas tenue par les actes passés en son nom par son gérant, qui a détourné ses pouvoirs pour souscrire, dans son intérêt personnel, un prêt et affecté hypothécairement le seul immeuble de la société à son remboursement, actes de nature à compromettre son existence et donc contraires à son intérêt social.
La Cour de cassation – Chambre civile 3, 11 janvier 2023, 21-22.174, Inédit – lui donne raison :
« Vu l’article 1849, alinéa 1er, du code civil :
Selon ce texte, dans les rapports avec les tiers, le gérant engage la société pour les actes entrant dans l’objet social.
Les actes accomplis par le gérant ne peuvent engager la société si, étant de nature à compromettre son existence même, ils sont contraires à l’intérêt social, y compris lorsqu’ils entrent dans son objet statutaire.
Pour rejeter les demandes de la SCI, l’arrêt retient qu’il n’est pas établi que, lors de la conclusion de la convention, la banque pouvait avoir connaissance de la fraude réalisée par celui qui était alors réellement le gérant statutairement désigné, que les actes litigieux entrent dans l’objet social défini par les statuts et que la SCI, qui ne saurait se référer, pour invoquer l’intérêt social, à des dispositions qui ne concernent que les rapports entre associés, n’est pas fondée à solliciter la nullité du prêt immobilier conclu avec la banque.
En se déterminant ainsi, sans rechercher, comme il le lui était demandé, si le prêt souscrit n’était pas contraire à l’intérêt social de la SCI, eu égard au montant de l’emprunt et à l’inscription hypothécaire prise sur son seul immeuble, la cour d’appel n’a pas donné de base légale à sa décision. »
Décryptage
Il résulte de l’article 1849 du Code civil qu’en société civile, le gérant engage la société dans les rapports avec les tiers seulement dans la limite des actes entrant dans l’objet social.
Les clauses statutaires limitant les pouvoirs des gérants sont inopposables aux tiers.
Pourtant la Cour de cassation énonce que :
« Les actes accomplis par le gérant ne peuvent engager la société si, étant de nature à compromettre son existence même, ils sont contraires à l’intérêt social, y compris lorsqu’ils entrent dans son objet statutaire. »
Il en ressort que, comme en matière de sûretés consenties par une société au profit d’un tiers, les actes accomplis par le gérant nécessiteraient une double condition cumulative :
– entrer dans l’objet social
– et ne pas êtres contraires à l’intérêt social.
Cette décision « tombe » le même jour que l’arrêt relatif à la garantie de la dette d’un tiers par une société :
En matière de sûretés consenties par une société au profit d’un tiers, l’intérêt social est généralement retenu si :
– la société trouve un intérêt dans l’octroi de la garantie,
– et l’existence de la société n’est pas mise en danger (actifs sociaux supérieurs au montant garanti).
Pour plus de précisions sur la notion d’intérêt social, vous pouvez consulter :
Si la logique retenue ici par la Cour de cassation est la même, faire autoriser l’acte par une décision unanime des associés ne devrait pas permettre d’échapper à la condition de conformité à l’intérêt social.
Les professionnels devront donc retenir un raisonnement en deux étapes :
- 1ère étape : les actes prévus sont-ils visés par l’objet social ?
- 2nde étape : lesdits actes semblent-ils correspondre à l’intérêt de la société ?
Si l’une de ces conditions cumulatives ne semble pas satisfaite, l’acte risque d’être annulable.
Cette condition de l’intérêt social est déjà très contestée en doctrine notamment pour son absence de fondement textuel, et pour l’insécurité qu’elle porte en germe.
Pour consulter la décision :