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LE NU-PROPRIETAIRE DE TITRES SOCIAUX PEUT-IL DECIDER SEUL DE LA DISSOLUTION DE LA SOCIETE ?

Un usufruitier de titres sociaux, n’ayant pas la qualité d’associé, peut-il s’opposer à la dissolution de la société ? La Cour d’appel de Nîmes se prononce.

Décision

Mme W et M. H constituent une société civile, dont ils possèdent chacun 100 parts.

Suite à des cessions réciproques, Mme W se retrouve nue-propriétaire de l’ensemble des parts et M. H, usufruitier de l’ensemble des parts.

Par déclaration au greffe intitulée « Dissolution par déclaration au greffe de l’associée unique », Mme W procède aux formalités de dissolution de la société.

M. H s’oppose à la dissolution.

Il soutient que la déclaration de dissolution et liquidation de la société par Mme W, nue-propriétaire de l’ensemble des parts, est nulle dès lors qu’une telle formalité nécessite une démarche commune du nu-propriétaire et de l’usufruitier, et à défaut une autorisation judiciaire. Il estime qu’en sa qualité d’usufruitier, il possède toutes les prérogatives d’un associé au regard des décisions susceptibles d’affecter les droits de jouissance qui lui sont conférés par le Code civil. Il fait valoir que l’article 12 des statuts confère à l’usufruitier seul le droit de vote, et en déduit que Mme W, nue propriétaire, ne disposait pas du pouvoir de demander la dissolution de la société. Il prétend de plus qu’en décidant unilatéralement la dissolution de la société, Mme W a provoqué la disparition du bien objet du démembrement, privant de ce fait l’usufruitier de son droit de jouissance du bien, ce que prohibent les dispositions de l’article 599 du code civil.

Par un arrêt du 12 mai 2022, la Cour d’appel de Nîmes (CA Nîmes, 2e chambre, section A, 12 mai 2022, n° 19/04846) le déboute :

« En l’espèce, l’article 12 des statuts intitulé ‘Indivisibilité des parts, exercice des droits attachés aux parts’ prévoit que l’usufruitier exercera le droit de vote tant aux assemblées générales ordinaires qu’extraordinaires, auxquelles le nu-propriétaire sera néanmoins convoqué.

Toutefois, le droit de vote ne se confond pas avec le droit de procéder à la dissolution de la société qui n’appartient qu’à l’associé.

Conformément à l’article 8 du décret 78-704 du 3 juillet 1978, l’associé entre les mains duquel sont réunies toutes les parts sociales peut, à tout moment, dissoudre la société par déclaration au greffe du tribunal de commerce en vue de la mention de la dissolution au registre du commerce et des sociétés.

M. H ne démontre pas qu’une telle démarche était susceptible de porter atteinte à ses droits d’usufruitier, dans la mesure où en présence de titres démembrés, le remboursement des apports et l’éventuel boni de liquidation reviennent au nu-propriétaire des parts ou actions, mais les droits de l’usufruitier se reportent alors sur les actifs sociaux ou sommes attribués au nu-propriétaire.

Ainsi, en l’absence d’incidence directe sur le droit de jouissance des parts, dont M. H bénéficie en sa qualité d’usufruitier, la décision de procéder à la dissolution n’avait pas à être soumise préalablement au vote d’une assemblée générale extraordinaire à laquelle M. H aurait dû être convoqué.

Il s’en déduit que la déclaration au greffe en date du 14 février 2017 à la diligence de Mme [M] [W], titulaire de la nue-propriété de l’ensemble des parts sociales, visant à procéder à la dissolution de la SCI, est valable et n’encourt pas la nullité. »

Décryptage

Dans un avis du 1er décembre 2021, la Chambre commerciale de la Cour de cassation (Cass. com., 1 décembre 2021, n° 20-15.164) s’est prononcée sur la question de la qualité ou non d’associé de l’usufruitier de titres sociaux :

« 1.- L’usufruitier de parts sociales ne peut se voir reconnaître la qualité d’associé.
2.- L’usufruitier de parts sociales peut provoquer une délibération des associés, en application de l’article 39 du décret du 3 juillet 1978, si cette délibération est susceptible d’avoir une incidence directe sur son droit de jouissance des parts sociales. »

Pour plus de précisions, voir notre article :

Cet avis a été suivi par la 3ème chambre civile de la Cour de cassation (Cass., civ.3, 16 février 2022, n° 20-15.164, Publié au bulletin) :

« 16. Il résulte de la combinaison de ces textes (article 578 du code civil et article 39 du décret du 3 juillet 1978) que l’usufruitier de parts sociales ne peut se voir reconnaître la qualité d’associé, qui n’appartient qu’au nu-propriétaire, mais qu’il doit pouvoir provoquer une délibération des associés sur une question susceptible d’avoir une incidence directe sur son droit de jouissance.»

En l’espèce, les usufruitiers n’ayant pas soutenu que la question à soumettre à l’assemblée générale avait une incidence directe sur le droit de jouissance des parts dont ils avaient l’usufruit, La Cour de cassation retient que c’est à bon droit que la cour d’appel a retenu que leur demande de désignation d’un mandataire chargé de provoquer la délibération des associés était irrecevable.

https://www.legifrance.gouv.fr/juri/id/JURITEXT000045197140?init=true&page=1&query=20-15164&searchField=ALL&tab_selection=all

Lors de l’avis de la Cour de cassation, nous notions deux points principaux à retenir :

  1. L’absence de qualité d’associé de l’usufruitier implique un certain nombre de conséquences, notamment l’exclusion de l’usufruitier du champ des dettes d’une SNC ou d’une société civile, l’exclusion de l’usufruitier pour le calcul du nombre d’associés requis, …

La décision de la Cour d’appel de Nîmes en est un exemple : si le nu-propriétaire a pu décider de la dissolution sans provoquer une décision collective des associés (en l’espèce le droit de vote appartenait à l’usufruitier), c’est en sa qualité d’associé unique, l’usufruitier n’étant pas comptabilisé comme un associé : l’associé entre les mains duquel sont réunies toutes les parts sociales peut, à tout moment, dissoudre la société par déclaration au greffe du tribunal de commerce.

2. Que recouvre la notion d’« incidence directe sur son droit de jouissance des parts sociales » permettant à l’usufruitier de provoquer une délibération des associés ?

En l’espèce, l’usufruitier, reprenant la logique de la Cour de cassation, invoque qu’en sa qualité, il possède toutes les prérogatives d’un associé au regard des décisions susceptibles d’affecter les droits de jouissance.

La Cour d’appel de Nîmes, après avoir relevé qu’en présence de titres démembrés, le remboursement des apports et l’éventuel boni de liquidation reviennent au nu-propriétaire des titres, mais que les droits de l’usufruitier se reportent alors sur les actifs sociaux ou sommes attribués au nu-propriétaire, estime que la décision de dissolution n’a pas d’incidence directe sur le droit de jouissance des parts.

Reste à voir si cette position sera suivie et dans quelle mesure des aménagements statutaires pourront contrebalancer l’absence de qualité d’associé de l’usufruitier.

Notre avis

Cette décision s’entend sur le fondement du Droit des sociétés. L’article 1844-5 du Code civil dispose que lorsque toutes les parts sont réunies en une seule main, tout intéressé peut demander la dissolution à défaut de régularisation dans l’année.

Elle semble plus surprenante sur le terrain du Droit des biens. Le nu-propriétaire pourrait, dans une telle situation, supprimer unilatéralement l’objet du démembrement. Dans d’autres circonstances, un tel postulat semble impossible.

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