Deux époux changent de régime matrimonial sous l’ancien régime de l’homologation systématique, et omettent à cette occasion de mentionner au juge l’existence d’enfants d’un précédant mariage. Cette omission constitue-t-elle une fraude justifiant l’annulation de l’opération ? La Cour de cassation se prononce.
La décision
Monsieur et Madame D, mariés en 1982 sans contrat préalable à leur union, conviennent d’adopter le régime de la séparation de biens en 1992. Ils font homologuer ladite convention en indiquant qu’ils n’ont pas d’enfants, alors même que Monsieur est le père de deux enfants nés de sa précédente union.
En 2012, Monsieur D décède.
Ces enfants assignent l’épouse survivante de leur père en nullité pour fraude, de la convention homologuée. La Cour d’appel de Chambéry les déboute.
Ils forment un pourvoi au motif que l’adoption de la séparation de biens avait permis à Madame de se constituer un patrimoine immobilier en investissant l’intégralité de ses revenus, leur père assumant seul les charges du mariage. Dès lors, l’existence d’enfants de Monsieur avait été dissimulée dans un but frauduleux. La convention de changement de régime encourrait la nullité.
La 1ère Chambre civile de la Cour de cassation, dans un arrêt n°20-18726 du 26 janvier 2022, confirme la décision d’appel :
Après avoir énoncé que la dissimulation de l’existence des enfants d’un des époux lors de l’adoption d’un régime de séparation de biens, qui n’induit aucun avantage pour l’un ou l’autre des époux, n’est pas en elle-même constitutive d’une fraude, cette omission pouvant résulter d’une simple négligence sans volonté de tromper ni de nuire et relevé que la mention portée dans la requête en homologation pouvait être comprise en ce sens que les époux n’avaient pas eu d’enfant commun, la cour d’appel a retenu que la convention litigieuse ne comportait aucune clause susceptible de nuire aux héritiers des époux.
Elle a ensuite constaté qu’à la date du changement de régime matrimonial, le patrimoine de Monsieur, en instance de préretraite, se réduisait à des liquidités dont il avait la libre disposition, tandis que son épouse, en activité salariée durant encore une quinzaine d’années, justifiait que le financement de ses biens immobiliers avait toujours été réalisé par remploi du prix de vente d’un bien précédent, ainsi que par divers emprunts ou autres apports personnels.
La cour d’appel, qui a répondu aux conclusions prétendument omises, en a souverainement déduit que les enfants de Monsieur ne rapportaient pas la preuve d’une fraude à leurs droits.
Le moyen n’est donc pas fondé.
Décryptage
La décision concerne des faits datant d’une époque où l’homologation d’un changement de régime était systématique, mais peu importe, les mécanismes juridiques restent aujourd’hui en principe les mêmes.
La question posée consistait à déterminer si la dissimulation de l’existence d’enfants à l’occasion de la demande d’homologation constituait une fraude susceptible de justifier la nullité de l’opération ? La Cour de cassation répond, à juste titre, que l’omission ne suffit pas, encore faut-il prouver que les droits des enfants fussent fraudés.
Qu’en est-il aujourd’hui ?
Désormais, l’homologation par le tribunal judiciaire n’est requise qu’en cas d’opposition d’un enfant ou d’un créancier.
Si les époux dissimulent au notaire l’existence d’enfants d’un précédent mariage, deux conséquences directes :
- la notification de la convention à leur attention ne sera pas possible, ce qui les met dans l’impossibilité de s’opposer à l’opération, dans le délai de 3 mois de l’article 1397 al 2 C. civ. Avant la Loi du 23 juin 2006, de nombreux tribunaux les appelaient à l’instance en vue de connaître leur avis. Désormais, ils ne peuvent manifester leurs griefs éventuels que sous réserve d’avoir été destinataires de l’information.
- le notaire pourra être trompé dans l’appréciation de la conformité de la modification à l’intérêt de la famille.
Ces deux conséquences semblent toutefois ne pas suffire à justifier de l’existence d’une fraude aux droits des enfants cachés, et donc de la nullité de la convention.
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