Face à une mésentente, certains associés représentant 50% du capital demandent la dissolution de la société. La voix prépondérante accordée par les statuts au gérant permettant le fonctionnement des organes sociaux justifiait-elle d’une absence de paralysie ? La Cour de cassation se prononce.
La décision
Le capital d’une société civile est détenu par :
- Monsieur E, son gérant, associé à 50% ;
- Mme O, associée à 25% ;
- Et Monsieur W, associé à 25%.
La société est propriétaire de deux terrains loués à deux sociétés dirigées par Monsieur W.
Invoquant la mésentente entre les associés paralysant le fonctionnement de la société, Madame O demande en justice la dissolution de celle-ci sur le fondement de l’article 1844-7, 5°, du code civil, demande à laquelle Monsieur W s’associe.
Les demandeurs font grief à l’arrêt d’appel – CA MONTPELLIER 26 septembre 2019 – statuant sur renvoi après cassation – Com., 5 avril 2018, pourvoi n° 16-19.829 – de rejeter leur demande, alors :
- Que la voix prépondérante de l’associé gérant accordée par les statuts en cas de partage des voix permettant le fonctionnement des organes sociaux n’exclut pas la paralysie effective du fonctionnement de la société,
- Qu’aucune disposition légale ne permet de contraindre l’associé qui demande la dissolution de la société à céder ses parts,
- Que la mésentente entre associés paralysant le fonctionnement de la société justifie que soit prononcée sa dissolution sans qu’il soit nécessaire que soit établie que ladite société est dans une situation irrémédiablement compromise, la dissolution anticipée pouvant avoir précisément pour objet d’éviter à la société une telle issue.
La Cour de cassation les déboute :
« Après avoir constaté qu’en dépit de la répartition égalitaire des titres entre les associés, les dispositions statutaires de la société … permettaient d’adopter les résolutions nécessaires à son bon fonctionnement et de prévenir, en cas de désaccord, tout blocage en raison de l’attribution, lors des assemblées générales, d’une voix prépondérante au gérant qui en assurait la présidence, qu’elles donnaient aux associés la possibilité de se retirer totalement ou partiellement de la société … et que ni Mme O …, ni M. W … n’avaient formulé une telle requête, la cour d’appel a retenu que l’activité de cette société se poursuivait en dépit des conflits entre associés et qu’elle pouvait, le cas échéant, continuer de fonctionner après un retrait d’associés.
La cour d’appel, qui avait la faculté de prendre en compte le droit de retrait conféré aux associés, qui ne s’est pas fondée sur une absence de blocage apparente et qui n’a pas subordonné la dissolution de la société … à la preuve d’une situation financière irrémédiablement compromise, a pu en déduire que la mésentente entre les associés ne paralysait pas son fonctionnement et rejeter la demande de dissolution.
Le moyen n’est donc pas fondé »
Décryptage
Il résulte de l’article 1844-7 du Code civil que la société prend fin par la réalisation de son objet, l’arrivée de son terme, … et la dissolution anticipée prononcée par le tribunal à la demande d’un associé pour justes motifs, notamment en cas d’inexécution de ses obligations par un associé, ou de mésentente entre associés paralysant le fonctionnement de la société.
En l’espèce, un associé à 50% s’opposait systématiquement à un bloc d’associés représentant 50%.
Les statuts prévoyaient que dans une telle hypothèse, l’associé gérant disposait d’une voix prépondérante, de sorte que la société pouvait continuer de vivre.
La question soumise au juge était donc la suivante : une telle situation justifiait-elle d’une mésentente entre associés paralysant le fonctionnement de la société ?
En effet la voix prépondérante était perçue comme une solution de secours mais ne résolvait pas la mésentente chronique.
La Cour suprême écarte la dissolution en constatant que le fonctionnement de la société n’était pas paralysé.
C’est ce qui conduit certains commentateurs à considérer que prévoir statutairement une voix prépondérante est peut-être la solution, dans l’intérêt de la société, aux risques de mésentente. Encore faut-il que les associés l’aient accepté initialement.
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