Un acte de cession d’actions est annulé. Quel est le sort des assemblées générales auxquelles ont participé le cessionnaire déchu ? La Cour de cassation se prononce.
La décision
En 1992, une mère et son fils constituent une SARL, détenant chacun 250 parts.
En 1998, un couple se porte acquéreur de l’intégralité des parts de la mère. En parallèle, le fils cède 200 de ses parts.
La mère décède en 2010, laissant pour lui succéder ses deux enfants.
Sa fille contestant que sa mère ait signé les actes de cession, intente une action en annulation de ces actes pour faux et en réintégration des parts à l’actif successoral.
Son frère s’associe à cette action en annulation et assigne en outre la société en annulation de toute les assemblées générales tenues après les cessions.
La Cour d’appel – CA Rouen 7 octobre 2021, n° 14/04637 – leur ayant donné raison, la société et les cessionnaires forment un pourvoi invoquant notamment l’article L. 223-27 du Code de commerce pour écarter l’annulation des AG.
La Cour de cassation – Cass. com., 11 octobre 2023, 21-24.646, Publié au bulletin – rejette le pourvoi :
« 14. L’arrêt retient, à bon droit, que les dispositions du dernier alinéa de l’article L. 223-27 du code de commerce, qui prévoient que toute assemblée irrégulièrement convoquée peut être annulée, et la règle selon laquelle le juge conserve la liberté d’appréciation de l’opportunité d’une telle annulation concernent l’hypothèse d’une irrégularité de convocation de l’assemblée générale et qu’elles n’ont pas vocation à s’appliquer au litige dès lors que l’annulation des assemblées générales est sollicitée, non pas parce qu’elles ont été irrégulièrement convoquées, mais parce qu’elles ont toutes été tenues avec M. [M] et Mme [S], associés détenant la moitié du capital, cependant qu’ils sont désormais réputés ne jamais avoir eu cette qualité, ce dont il se déduit que la cour d’appel a statué sur le fondement des articles 1844 du code civil, disposition dont il résulte que seuls les associés ont le droit de participer aux décisions collectives de la société, et 1844-10, alinéa 3, du même code.
(…)
17. Il résulte de la combinaison des articles 1844, alinéa 1, et 1844-10, alinéa 3, du code civil que la participation d’une personne n’ayant pas la qualité d’associé aux décisions collectives d’une société à responsabilité limitée constitue une cause de nullité des assemblées générales au cours desquelles ces décisions ont été prises, dès lors que l’irrégularité est de nature à influer sur le résultat du processus de décision.
18. L’arrêt relève qu’à la suite des cessions de parts par [K] [D] et M. [G], le capital de la société Musée hôtel Baudy s’est trouvé réparti entre M. [M], à concurrence de cent cinquante parts, Mme [H] [S], épouse [M], à concurrence de cent parts, Mme [I] [M], à concurrence de cent vingt cinq parts, Mme [V], à concurrence de soixante quinze parts, et M. [G], à concurrence de cinquante parts.
19. Il en résulte que, M. [M] et Mme [H] [S], épouse [M], Mme [I] [M] et Mme [V] ayant détenu ensemble quatre cent cinquante parts sur les cinq cents parts composant le capital de la société Musée hôtel Baudy, l’irrégularité tenant à la participation des premiers aux assemblées générales, cependant qu’ils n’avaient pas la qualité d’associé, ne pouvait qu’être de nature à influer sur le résultat du processus de décision. »
Décryptage
Héritier non encore agréé, cessionnaire de titres dont l’acte d’acquisition est ultérieurement annulé, …quelle est la conséquence de la participation et du vote aux assemblées générale d’une personne n’ayant pas la qualité d’associé ?
La Cour de cassation s’était déjà prononcée en 2015 – Cass. civ. 3, 8 juillet 2015, 13-27.248, Publié au bulletin :
« Mais attendu qu’il résulte de l’article 1844 du code civil que seuls les associés ont le droit de participer aux décisions collectives de la société ; qu’ayant relevé que les héritiers de Charles X…, qui n’avaient pas obtenu d’agrément dans les conditions prévues par les statuts, ne pouvaient se prévaloir d’un agrément tacite et n’étaient pas associés de la SCI, avaient cependant pris part à l’assemblée générale et à l’élection des gérants, la cour d’appel, qui, sans être tenue de procéder à des recherches ou de répondre à des conclusions que ses constatations rendaient inopérantes, en a exactement déduit que l’assemblée générale qui s’était tenue irrégulièrement devait être déclarée nulle, comme la désignation de M. Marc X… en qualité de gérant, a légalement justifié sa décision ; »
Seuls les associés ayant le droit de participer aux décisions collectives de la société, doit en conséquence être déclarée nulle l’assemblée générale d’une société civile immobilière à laquelle ont pris part des tiers, n’ayant pas la qualité d’associés, qui ont participé à l’élection du gérant.
Suite à cette décision rendue par la 3ème chambre civile, la doctrine s’est interrogée sur le point de savoir si la chambre commerciale suivrait le pas.
En l’espèce, pour faire échec à cette jurisprudence, il était invoqué l’article L223-27 du Code de commerce relatif aux SARL :
« Toute assemblée irrégulièrement convoquée peut être annulée. Toutefois, l’action en nullité n’est pas recevable lorsque tous les associés étaient présents ou représentés. »
La Cour de cassation écarte cet argumentaire : ce n’était pas une irrégularité de convocation (qui peut être couverte par la présence ou la représentation de tous les associés en SARL) qui était invoquée mais la tenue en elle-même des assemblées générales, ce qui relevait du droit commun des sociétés.
La Chambre commerciale retient le même raisonnement que la 3ème chambre civile, apportant toutefois une nuance :
« Il résulte de la combinaison des articles 1844, alinéa 1, et 1844-10, alinéa 3, du code civil que la participation d’une personne n’ayant pas la qualité d’associé aux décisions collectives d’une société à responsabilité limitée constitue une cause de nullité des assemblées générales au cours desquelles ces décisions ont été prises, dès lors que l’irrégularité est de nature à influer sur le résultat du processus de décision. »
La nullité de l’assemblée générale à laquelle a participé une personne n’ayant pas la qualité d’associé est subordonnée à ce que cette participation irrégulière ait été de nature à influer sur le résultat du processus de décision.
Notons que la Cour de cassation a déjà récemment utilisé les termes « de nature à influer sur le résultat du processus de décision » lors de son revirement sur la nullité, en SAS, d’une délibération prise en violation des statuts.