L’expert judiciaire qui valorise les parts qu’un associé détenait au sein d’une SARL quelques années après le décès en raison d’un refus d’agrément de ses héritiers commet-il une erreur grossière s’il prend en compte l’évolution qu’a connue la société après le décès ? La Cour d’appel de NIMES prend position.
La décision
En 2015, Monsieur O décède, laissant pour lui succéder ses deux enfants issus d’une première union, et son épouse Madame D, par ailleurs son associée à 50/50 au sein d’une SARL.
Les enfants de Monsieur sollicitent leur agrément.
Madame D leur notifie son refus et son intention de se porter acquéreurs des parts de leur père.
Le Tribunal de commerce d’AVIGNON – 2 avril 2021 n°2019005226 – condamne Madame D à verser aux héritiers la somme 117.000 € correspondant à la valeur de leurs parts.
Madame D conteste la valorisation retenue.
La Cour d’appel – CA Nîmes 17-5-2023 n° 21/02058 – lui donne raison :
« … Si l’expert indique bien, dans son rapport, qu’il convient de valoriser les parts sociales au 13 mars 2015 – jour du décès – , il s’est basé pour ce faire sur des données établies à partir de l’activité postérieure telles que le chiffre d’affaires, la marge brute et les résultats des exercices 2015, 2016 et 2017. Ainsi, il ne s’est pas comporté en appréciateur avisé et consciencieux, en procédant à la détermination de la valeur vénale du fonds de commerce et à des projections de résultats pour les dix prochaines années, à partir d’informations qui n’étaient pas connues, ni même prévisibles, au moment du décès de l’associé.
L’erreur grossière commise par l’expert judiciaire conduit la cour à écarter totalement son rapport. En effet, adopter partiellement les conclusions de ce rapport, comme l’a fait le tribunal, reviendrait à porter une appréciation sur le prix de cession et à se substituer à l’expert judiciaire auquel il appartient seul de déterminer la valeur des droits sociaux. »
Pour consulter la décision :
Décryptage
Il résulte de l’article L223-13 du Code de commerce que lorsque l’agrément a été refusé à l’héritier de l’associé d’une SARL, l’héritier a droit à la valeur des droits sociaux de son auteur, laquelle valeur est déterminée au jour du décès conformément à l’article 1843-4 du Code civil.
Aux termes de l’article 1843-4 du Code civil, la valeur des droits sociaux est déterminée, en cas de contestation, par un expert désigné, soit par les parties, soit à défaut d’accord entre elles, par le juge.
L’expert désigné est tenu de respecter les modalités de valorisation prévues par les statuts ou toute convention liant les parties.
A défaut de telles stipulations, l’expert a toute latitude pour déterminer la valeur des titres selon les critères qu’il juge opportuns ; cette évaluation s’impose au juge et aux parties, sauf erreur grossière (Cass. com, 19 avril 2005, 03-11.790, Publié au bulletin).
L’erreur grossière est traditionnellement définie comme celle qu’un technicien normalement soucieux de ses fonctions ne saurait commettre, l’erreur étant appréciée par rapport au ‘comportement d’un appréciateur avisé et consciencieux’.
La Cour d’appel énonce que si l’expert indique bien dans son rapport qu’il convient de valoriser les parts sociales au décès, il s’est basé pour ce faire sur des données établies à partir de l’activité postérieure telles que le chiffre d’affaires, la marge brute et les résultats des exercices 2015, 2016 et 2017. Elle considère qu’il ne s’est pas comporté en appréciateur avisé et consciencieux, en procédant à la détermination de la valeur vénale du fonds de commerce et à des projections de résultats pour les dix prochaines années, à partir d’informations qui n’étaient pas connues, ni même prévisibles, au moment du décès de l’associé.
La Cour d’appel considère ainsi que retenir des informations postérieures à la date fixée pour l’évaluation constitue une erreur grossière.
Sur un cas d’erreur grossière sur la date d’évaluation, vous pouvez consulter :