C’est la substance des questions prioritaires de constitutionnalité transmises à la Cour de cassation, laquelle accepte de les renvoyer au Conseil constitutionnel.
Décision
M. N était salarié et associé de la SAS LT capital. Il a, au mois d’octobre 2020, démissionné de ses fonctions salariées.
L’article 11 des statuts de la SAS stipule que la qualité d’associé est réservée aux personnes ayant la qualité de salarié et/ou de mandataire social de la société et qu’en cas de perte, par l’associé, de cette qualité, le président de la société convoque l’assemblée générale extraordinaire des associés afin qu’elle se prononce sur l’exclusion de l’associé.
Dans sa version initiale, cet article précisait que l’associé dont l’exclusion est envisagée ne prend pas part au vote sur la décision de son exclusion.
Le 22 janvier 2021, l’assemblée générale extraordinaire a modifié, à la majorité requise par les statuts pour leur modification, l’article 11 des statuts en ce sens que l’associé dont l’exclusion est envisagée prend part au vote sur la décision d’exclusion.
Par décision du même jour, l’assemblée générale extraordinaire a exclu M. N, celui-ci ayant, en application de l’article 11 des statuts, modifié, pris part au vote relatif à la décision de son exclusion.
M. N a assigné la SAS en nullité de la modification statutaire du 22 janvier 2021, de la décision l’excluant de la société et de la cession de ses actions. Devant le tribunal de commerce, M. N a, par un mémoire distinct, posé quatre questions prioritaires de constitutionnalité, transmises par le tribunal de commerce à la Cour de cassation :
« 1°/ L’article L. 227-16 du code de commerce est-il conforme aux articles 2 et 17 de la Déclaration des droits de l’homme [et du citoyen de 1789] alors qu’il porte atteinte au droit de propriété sans nécessité publique ?
2°/ L’article L. 227-16 du code de commerce est-il conforme aux articles 2 et 17 de la Déclaration des droits de l’homme [et du citoyen de 1789] alors qu’il porte atteinte de façon disproportionnée aux droits de propriété sans que cette atteinte soit justifiée par un motif d’intérêt général ?
3°/ L’article L. 227-16 du code de commerce est-il conforme aux articles 2 et 17 de la Déclaration des droits de l’homme [et du citoyen de 1789] alors qu’il permet, combiné à l’article L. 227-19 du même code, la cession forcée par l’associé de ses actions sans qu’il ait consenti à l’adoption de la clause statutaire d’exclusion l’autorisant ?
4°/ L’article L. 227-19 du code de commerce est-il conforme aux articles 2 et 17 de la Déclaration des droits de l’homme [et du citoyen de 1789] alors qu’il permet la cession forcée par l’associé de ses actions sans qu’il ait consenti à l’adoption de la clause statutaire d’exclusion l’autorisant ? »
La Cour de cassation (Cass. com., 12 octobre 2022, n° 22-40.013, Publié au bulletin) renvoie au Conseil constitutionnel les questions prioritaires de constitutionnalité :
« 10. Les articles L. 227-16 et L. 227-19 du code de commerce n’ont pas déjà été déclarés conformes à la Constitution dans les motifs et le dispositif d’une décision du Conseil constitutionnel.
11. Les questions posées présentent un caractère sérieux en ce que, d’une part, l’article L. 227-16, alinéa 1er, du code de commerce a pour conséquence de permettre à une société par actions simplifiée de priver, en exécution d’une clause statutaire d’exclusion, un associé de la propriété de ses droits sociaux sans que cette privation repose sur une cause d’utilité publique, et en ce que, d’autre part, il résulte de la combinaison de ce texte avec l’article L. 227-19, alinéa 2, de ce code, dans sa rédaction issue de la loi n° 2019-744 du 19 juillet 2019, qu’une société par actions simplifiée peut désormais, par une décision non prise à l’unanimité de ses membres, priver un associé de la propriété de ses droits sociaux sans qu’il ait consenti par avance à sa possible exclusion dans de telles conditions, de sorte que ces dispositions seraient de nature à porter atteinte au droit de propriété et à ses conditions d’exercice, garantis par les articles 17 et 2 de la Déclaration des droits de l’homme et du citoyen du 26 août 1789. »
Pour consulter la décision :
Décryptage
Concernant les sociétés par actions simplifiées, l’article L.227-16 du Code de commerce prévoit :
« Dans les conditions qu’ils déterminent, les statuts peuvent prévoir qu’un associé peut être tenu de céder ses actions.
Ils peuvent également prévoir la suspension des droits non pécuniaires de cet associé tant que celui-ci n’a pas procédé à cette cession. »
L’article L.227-19 du Code de commerce prévoit en outre, depuis 2019, dans son alinéa 2 :
« Les clauses statutaires mentionnées aux articles L. 227-14 et L. 227-16 ne peuvent être adoptées ou modifiées que par une décision prise collectivement par les associés dans les conditions et formes prévues par les statuts. »
Auparavant, les clauses statutaires visées à l’article L.227-16, c’est-à-dire les clauses statutaires d’exclusion, ne pouvaient être adoptées ou modifiées qu’à l’unanimité des associés.
La loi prévoit donc concernant les SAS :
- une autorisation de principe des clauses statutaires d’exclusion,
- la possibilité de prévoir ou modifier une telle clause sans accord unanime des associés et ce depuis 2019.
Les statuts doivent déterminer les modalités de l’exclusion, étant précisé que la jurisprudence veille à ce que la décision d’exclusion ne soit pas discrétionnaire.
Rappelons également que la jurisprudence considère que le droit pour tout associé de participer aux décisions collectives implique le droit de participer à la décision relative à sa propre exclusion, sous réserve que les statuts prévoient que cette décision relève de la compétence des associés.
S’il nous semble peu probable que le principe de la clause d’exclusion statutaire soit déclaré inconstitutionnel, il en va différemment de la possibilité de modifier la clause sans le consentement unanime des associés.
Nous ne manquerons pas de vous faire part de la décision du Conseil constitutionnel.