Un contribuable peut-il se prévaloir, en application de l’article L. 80 A du LPF, du contenu d’un formulaire de déclaration ou d’une notice explicative ? Le Conseil d’Etat se prononce.
La décision
En 2010, M. et Mme B perçoivent des dividendes de source togolaise.
Ils mentionnent sur leur déclaration des revenus perçus à l’étranger le bénéfice d’un crédit d’impôt, calculé sur la base d’un taux de 37,5 % déterminé selon la formule figurant sur la notice établie par l’administration fiscale à laquelle renvoyait l’imprimé déclaratif.
L’administration remet en cause le montant de ce crédit d’impôt au motif que le taux de 37,5 % n’était plus applicable aux dividendes de source togolaise depuis une modification de la doctrine administrative applicable à compter des revenus perçus en 1996.
Les contribuables invoquent notamment la garantie de l’article L. 80 A du livre des procédures fiscales, la notice visant le Togo.
La Cour administrative d’appel – Versailles 10 février 2022, n° 20VE00560 – les déboute, retenant que les contribuables ne pouvaient utilement se prévaloir de cette notice sur le fondement de l’article L. 80 A du livre des procédures fiscales au motif que ce document, d’une part, ne constituait qu’une notice explicative qui, ainsi qu’elle le rappelait en première page, n’avait qu’une valeur indicative et ne se substituait pas à la documentation officielle de l’administration, et d’autre part, n’était pas au nombre des instructions ou circulaires publiées par lesquelles l’administration fiscale fait connaître son interprétation des textes fiscaux.
Le Conseil d’Etat – CE, 20 juin 2023, n° 462501, Mentionné dans les tables du recueil Lebon – annule l’arrêt :
« 8. En jugeant ainsi, alors qu’il ressort des pièces du dossier soumis aux juges du fond que, tandis que la documentation officielle ne comportait aucune mention explicite du retrait, à compter de 1996, des dividendes de source togolaise du champ du crédit d’impôt dit » décote africaine » institué par la doctrine administrative, mais se bornait à ne plus mentionner le Togo dans la liste des pays concernés, le formulaire déclaratif en cause, au moins jusqu’à la déclaration des revenus perçus en 2010, mentionnait, sans réserve ou précision particulière, le Togo au titre des pays concernés par cette mesure de faveur et se bornait à renvoyer, pour les dividendes de source togolaise, à la disposition n° 12, relative à la formule de calcul du taux, de sa notice explicative, et qu’en outre, cette notice, en dépit de sa formule préliminaire selon laquelle elle ne se substituait pas à la documentation officielle de l’administration, indiquait immédiatement ensuite que le contribuable y trouverait » toutes les explications nécessaires « , de sorte que, dans ces circonstances, l’imprimé déclaratif et sa notice explicative devaient être regardés comme comportant une interprétation formelle de la loi fiscale dont les contribuables pouvaient se prévaloir sur le fondement du second alinéa de l’article L. 80 A du livre des procédures fiscales, la cour a commis une erreur de droit. »
Pour consulter l’arrêt : https://www.legifrance.gouv.fr/ceta/id/CETATEXT000047708701?init=true&page=1&query=462501&searchField=ALL&tab_selection=all
Décryptage
Comme le souligne la rapporteure publique, la principale question à laquelle répond cet arrêt est la suivante :
« Peut-on se fier aveuglément aux indications données par l’administration fiscale elle-même dans ces formulaires et les notices qui les accompagnent ? »
Autrement dit, le contenu d’un formulaire de déclaration et de la notice y afférent peut-il être opposé à l’administration au sens de l’article L. 80 A du LPF ?
Le Conseil d’Etat relève tout d’abord que : « la remise en cause par l’administration fiscale d’un crédit d’impôt qui a été imputé sur l’imposition primitive d’un contribuable constitue un rehaussement au sens et pour l’application des dispositions du premier et du second alinéa de l’article L. 80 A du livre des procédures fiscales citées au point 4 » (étant précisé que le 2ème alinéa dans la rédaction applicable à l’année d’imposition en litige est aujourd’hui le 3ème alinéa).
Il souligne ensuite que : « si, en principe, un formulaire de déclaration ou une notice explicative ne sont pas au nombre des instructions ou circulaires que publie l’administration fiscale pour faire connaître son interprétation des textes fiscaux, il en va différemment lorsque ces documents, mis à la disposition des contribuables sur son site internet ou sur demande, comportent une interprétation formelle de la loi fiscale, laquelle peut être invoquée sur le fondement des dispositions du second alinéa de l’article L. 80 A du livre des procédures fiscales citées au point 4. »
Un formulaire de déclaration ou une notice explicative, bien qu’émanant de l’administration fiscale, ne sont donc en principe pas opposables à cette dernière.
Le Conseil d’Etat réserve toutefois le cas particulier où ces documents comportent une interprétation formelle de la loi fiscale.
En l’espèce, le Conseil d’Etat relève que :
– la documentation officielle ne comportait aucune mention explicite du retrait, à compter de 1996, des dividendes de source togolaise du champ du crédit d’impôt dit » décote africaine « , se bornant à ne plus mentionner le Togo dans la liste des pays concernés,
– le formulaire déclaratif en cause, au moins jusqu’à la déclaration des revenus perçus en 2010, mentionnait, sans réserve ou précision particulière, le Togo au titre des pays concernés par cette mesure de faveur,
– la notice explicative, en dépit de sa formule préliminaire selon laquelle elle ne se substituait pas à la documentation officielle de l’administration, indiquait immédiatement ensuite que le contribuable y trouverait » toutes les explications nécessaires « ,
Il en conclut que « dans ces circonstances, l’imprimé déclaratif et sa notice explicative devaient être regardés comme comportant une interprétation formelle de la loi fiscale dont les contribuables pouvaient se prévaloir sur le fondement du second alinéa de l’article L. 80 A du livre des procédures fiscales ».
Attention que l’opposabilité à l’administration fiscale d’un imprimé déclaratif et de sa notice explicative ne peut être généralisé : il n’a été admis qu’au vu des circonstances très particulières de l’espèce : silence de la documentation officielle sur le retrait effectué et absence de mise à jour des imprimés fiscaux (déclaration et notice explicative).