Un testament stipule des attributions, et laisse la faculté de ne pas accepter les lots. Est-ce toujours un testament-partage ? La Cour de cassation tranche.
La décision
Deux époux décèdent respectivement en 2012 et 2015, laissant pour leur succéder leurs deux fils, et en l’état de deux testaments authentiques quasiment identiques, léguant la quotité disponible à l’un des fils, et lui offrant, outre une priorité sur le choix des meubles, la faculté de prélever à titre d’attribution, un local (pour l’époux propriétaire) ou ses droits sur ce bien (pour le conjoint non propriétaire mais titulaire de droits à récompense), la même faculté étant réservée à l’autre fils sur un autre local.
Des difficultés naissent lors du règlement des successions. L’attributaire de la quotité disponible reproche à la Cour d’appel de RENNES, le 11 février 2020, d’avoir déclaré nuls les testaments qui, selon elle, constituaient des testaments-partage. En effet, lesdits testaments ne constituaient pas selon lui de testaments-partage au motif qu’ils n’établissaient pas des lots mais une simple faculté d’attribution, et qu’ils ne répartissaient pas l’intégralité de chaque succession.
La Cour de cassation, dans un arrêt Chambre civile 1, 13 avril 2022, 20-17.199, Publié au bulletin, casse au visa des articles 1075 et 1079 du Code civil :
« Il résulte de ces textes que le testament-partage est un acte d’autorité par lequel le testateur entend imposer le partage.
Pour déclarer nuls les testaments, l’arrêt retient que ceux-ci, rédigés de façon similaire et ayant pour objet de répartir entre les héritiers la quasi-totalité du patrimoine des époux, lesquels ont ainsi entendu procéder au partage de leurs biens, comprennent des dispositions portant sur les biens communs, ce qui excède la faculté accordée aux ascendants par l’article 1075 du code civil de procéder par anticipation au partage de leur succession, les dispositions de l’article 1423 du même code ne pouvant s’appliquer qu’aux légataires et non aux héritiers.
En statuant ainsi, alors qu’il résultait de ses propres constatations que les attributions prévues par les testaments présentaient un caractère facultatif pour leurs bénéficiaires, de sorte que ces actes ne pouvaient être qualifiés de testaments-partage, la cour d’appel, qui n’en a pas tiré les conséquences légales, a violé les textes susvisés. »
Décryptage
Pour déclarer nuls les testaments, la Cour d’appel a retenu la qualification de testaments-partage : un testament-partage ne peut pas porter sur des biens communs.
En effet, dans un arrêt du 6 mars 2001 (Cass., civ. 1, 6 mars 2001, n° 99-11.308) la Cour de cassation a précisé :
« Mais attendu, d’abord, que si les ascendants ont la faculté de faire, par anticipation, le partage de leur succession, cette faculté est limitée aux biens dont chacun d’eux a la propriété et la libre disposition et ne peut être étendue aux biens communs ; qu’ensuite, les dispositions de l’article 1423 du Code civil ne peuvent s’appliquer qu’aux légataires et non aux héritiers dont les parts doivent être déterminées au moment même du décès de l’ascendant et ne sauraient être subordonnées au résultat futur et incertain du partage ultérieur de la communauté ; que c’est donc à bon droit que la cour d’appel a déclaré nuls les testaments litigieux ; »
L’article 1423 du Code civil autorise le legs d’un bien commun par un époux mais conditionne son efficacité au résultat du partage de communauté : le légataire recevra en nature le bien légué s’il est échu au testateur dans le cadre du partage, et à défaut, sa valeur. L’article 1423 ne concerne que les legs.
Or l’objet d’un testament-partage n’est pas de léguer mais de partager les biens du testateur entre les héritiers présomptifs. Aux termes de l’article 1079 du Code civil : « Le testament-partage produit les effets d’un partage. Ses bénéficiaires ne peuvent renoncer à se prévaloir du testament pour réclamer un nouveau partage de la succession. ». Les bénéficiaires ne peuvent pas renoncer à se prévaloir du testament pour bénéficier de leurs droits légaux et procéder à un partage. Le testament-partage ne constitue pas un legs mais un partage imposé.
L’article 1423, validant le legs de biens communs, sous condition du résultat du partage de communauté, n’est pas applicable au testament-partage qui ne constitue pas un legs mais un partage.
On ne peut faire un testament-partage que sur les biens dont on a la libre disposition, ce qui n’est pas le cas des biens communs. On conçoit mal en effet qu’un testateur puisse imposer à ses héritiers la répartition de ses biens s’il ne connaît pas les biens qu’il doit répartir, tant que le partage de communauté n’est pas intervenu.
La Cour de cassation casse l’arrêt d’appel au motif qu’il résultait de ses propres constatations que les attributions prévues par les testaments présentaient un caractère facultatif pour leurs bénéficiaires, de sorte que ces actes ne pouvaient être qualifiés de testaments-partage.
Le testament de M. était rédigé comme suit (celui de Mme étant rédigé en des termes similaires) :
« (…) Je lègue à mon fils [B] ma quotité disponible.
Je laisse la faculté, s’il le souhaite, à mon fils [B] de prélever à titre d’attribution mes droits (récompenses) sur la propriété à (…) qui appartient à ma femme.
Mon fils [N] aura la même faculté en ce qui concerne l’immeuble (…).
Ils auront un délai de trois mois après le décès de mon époux et de moi-même pour exercer cette faculté.
S’il existe un conflit sur la fixation de la valeur de ces immeubles, celle-ci sera fixée à dire d’expert nommé par le président du Tribunal de Grande Instance compétent. (…) »
Difficile en effet de voir dans cette rédaction un partage imposé, auquel les bénéficiaires ne peuvent renoncer pour réclamer un nouveau partage de la succession.
La Cour de cassation rappelle que le testament-partage est un acte d’autorité. Si les attributions sont facultatives pour leurs bénéficiaires, ça n’est alors pas un testament-partage.
La qualification de testament-partage étant écartée, la nullité l’est aussi.
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